EN TERRAIN MINIER
NOUS LES ENFANTS DE DENAIN
« Quand Usinor a fermé, ça a été le cataclysme. Un dépôt de bilan général. Tous les petits commerces ont fermé », se souvient Joseph, patron du Denain Athlétique, l’un des derniers bistrots à ne pas avoir mis la clé sous la porte. Denain, dans le Nord, cité du charbon et de l’acier, ne s’est jamais remise de la fermeture, il y a quarante ans, de son usine sidérurgique, qui a laissé plus de 10 000 ouvriers sur le carreau. La ville a perdu un tiers de sa population et un jeune sur deux est actuellement au chômage. Alors, quel espoir pour les habitants de cette commune parmi les plus pauvres de France ? Laurence Delleur et Vincent Jarousseau, auteur des « Racines de la colère. Deux ans d’enquête dans une France qui n’est pas en marche » (Les Arènes, 2019), un roman graphique déjà consacré au territoire de Denain, ont suivi le quotidien de deux jeunes, Chloé et Allan, et de leurs proches. Si certains d’entre eux expriment leur attachement à la région, Chloé, elle, rêve d’ailleurs, notamment du Sud, où vivent ses trois frères et sa soeur. Bac en poche, elle envisage de devenir aide-soignante et met tout en oeuvre pour y parvenir : stages, permis de conduire « pour être indépendante » et, surtout, quitter Denain. Elle est soutenue par sa mère, pour qui « il n’y a aucun avenir ici ». Allan, qui prépare un CAP plomberie, se projette lui aussi dans le Sud, à son propre compte. Il admire ses parents qui travaillent dur même si son père, chauffeur routier, constate, ému, que la famille ne peut même pas se permettre d’« aller au restaurant quand on est en vacances. On mange dans la caravane ». Mais un vent nouveau semble souffler à Denain : en 2021, un cinéma et un centre aquatique ont ouvert leurs portes, un groupe de logistique s’est implanté sur les ruines d’Usinor et 450 emplois sont annoncés. Nicolas Delfort (photo), président d’une association de création audiovisuelle, milite pour conserver l’histoire de la ville et valoriser son identité minière. Avec le grand plan de renouvellement urbain signé en 2019, « j’ai cette peur qu’il n’y ait plus de façades, de murs, plus rien pour rappeler que c’était une ville qui a eu une identité forte ». Une plongée touchante dans une France populaire qui, sans misérabilisme, restitue avec force la réalité de la désindustrialisation.