L'Obs

LE PIRE POUR LE MEILLEUR

LA CHUTE D’UN CAÏD

- FRANÇOIS FORESTIER

Drame américain de Budd Boetticher (1960). Avec Ray Danton, Karen Steele, Warren Oates. 1h41.

Jack « Legs » Diamond fait partie de la légende de la Mafia : proprement flingué dans son sommeil en décembre 1931 (comme sa veuve, un an et demi plus tard), ce gangster a laissé le souvenir d’un voyou impitoyabl­e, évidemment idéal pour le cinéma. En 1959, donc, un producteur, Milton Sperling, décide d’en faire un héros dans la lignée des films Warner de l’époque. Problème : quinze jours avant le tournage, pas de scénario. Budd Boetticher, réalisateu­r de séries B, dicte un script en vitesse et tente de rassembler un casting décent. Le producteur, maniaque, change l’ordre des scènes. Le cinéaste se fâche. Ça commence bien. On engage Ray Danton (photo), acteur spécialisé dans les rôles de chefs indiens ou de galonnés héroïques – mais connu pour être un pénible sur le plateau. Ce qui se vérifie : Boetticher, qui a vingtcinq jours pour livrer la totalité du film, ne se laisse pas faire. Son idée est de montrer « Legs » Diamond tel qu’il était : une saloperie « comme Hitler ». Pas question, dit le producteur. Pas question, dit l’acteur. Karen Steele (photo), l’actrice (mariée à un psy, Dieu merci), se fait draguer par Warren Oates, qui joue un bad guy (et est un peu dingue dans la vie, mais on l’aime bien) et se fait tancer par Jesse White, comédien ayant débuté comme vendeur de lingerie fine. Sans surprise, le tournage n’est donc pas un long fleuve tranquille, d’autant plus que Boetticher, qui a été torero dans une vie antérieure, ne rêve que d’une chose : faire des films de corrida. Le reste, même ses sept westerns avec Randolph Scott, il n’en a cure. Il ne pense que banderille­s, toro, cape, arène, poussière, sang. Pourtant, le miracle arrive : tandis que Milton Sperling effectue un montage dans le dos du réalisateu­r, celui-ci remonte tout, la nuit. Résultat : un film réussi. Très réussi, même. Ce polar en noir et blanc, photograph­ié par Lucien Ballard, caméraman de Kubrick et de Peckinpah, est aujourd’hui classé parmi les meilleurs gangster films par l’American Film Institute. Budd Boetticher, lui, marié cinq fois et crédité d’une cinquantai­ne de titres, est mort en 2001, largement oublié. « La Chute d’un caïd », disait-il, était son film préféré.

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