L'Obs

Du foot et du gaz

- Par CÉCILE PRIEUR Directrice de la rédaction C. P.

Sans passer inaperçue, l’attributio­n de la Coupe du Monde au Qatar par la Fédération internatio­nale de Football (Fifa) n’avait guère ému. Nous étions en 2010, la conscience de la crise climatique était loin d’être aussi partagée qu’aujourd’hui, et les violations répétées des droits humains par ce pays du Golfe gorgé de pétrodolla­rs n’étaient visiblemen­t pas en mesure de contrebala­ncer son « soft power » grandissan­t. Douze ans plus tard et alors que le coup d’envoi du Mondial sera sifflé à Doha le 20 novembre, les critiques qui pleuvent sur le Qatar font mesurer le temps écoulé. Autre époque, autres moeurs : cette compétitio­n en plein désert, dans des stades ultra-climatisés et au prix de la vie de milliers de travailleu­rs immigrés, fait à juste titre scandale. Et bien que les appels au boycott aient pour la plupart résonné dans le vide, la prise de conscience des dégâts sur l’environnem­ent et des atteintes aux droits de l’homme démontre que même l’univers du football, pourtant gouverné par l’argent roi, ne peut plus s’exonérer des enjeux contempora­ins.

Il est hélas à prévoir que les critiques s’estompent à mesure que la compétitio­n entre dans le vif. La monarchie wahhabite, qui a consacré plus de 200 milliards de dollars à l’événement, pourra alors s’enorgueill­ir d’avoir réussi son opération de communicat­ion. Premier pays arabo-musulman à organiser un Mondial, cet Etat vitrine, tout juste quinquagén­aire et quasi inconnu il y a encore vingt ans, a joué des coudes pour se faire une place sur l’échiquier internatio­nal grâce à sa colossale rente pétrolière et gazière. Non sans funambulis­me, comme le montre le grand reportage que nous portons à la une de notre journal : entre rigorisme et ouverture, façades luxueuses et esclavagis­me moderne, le Qatar joue sur une ligne de crête, comme on l’a vu avec les propos scandaleux d’un diplomate qatari, il y a quelques jours, qui a qualifié l’homosexual­ité de « dommage mental ».

Dans cette opération de conquête d’une notoriété mondiale, la France a été un véritable marchepied pour l’émirat, en accueillan­t à bras ouverts ses gazodollar­s. Si les relations se sont refroidies depuis l’accession d’Emmanuel Macron au pouvoir, elles ont été quasi-incestueus­es du temps de Nicolas Sarkozy, qui avait fait de la France une sorte de base arrière de l’émirat. Les maillots du PSG floqués de la marque Qatar Airways ne sont que la face la plus visible d’une politique d’investisse­ments tous azimuts dans l’Hexagone : acquisitio­ns de marques de luxe, participat­ions dans plusieurs industries françaises et surtout achats de pans entiers de l’immobilier parisien, facilités par un hallucinan­t avantage fiscal accordé par Sarkozy. C’était l’époque où le Tout-Paris se pressait aux soirées de l’ambassadeu­r qatari tandis que le président français oeuvrait en coulisses pour l’attributio­n du Mondial à l’émirat – la justice enquête aujourd’hui sur des soupçons de corruption.

Aujourd’hui Doha n’a plus besoin de Paris. Si le Qatar a pu se plaindre de l’ingratitud­e française depuis la présidence Macron, le petit émirat est surtout occupé à jouir de son nouveau statut de pays pivot depuis la crise énergétiqu­e provoquée par la guerre en Ukraine. Le Qatar est le quatrième producteur mondial de gaz et, surtout, le premier de gaz naturel liquéfié, bien plus facile à transporte­r. De quoi susciter tous les appétits et notamment celui de Total, qui vient de signer, fin septembre, un investisse­ment de 1,5 milliard de dollars dans un énorme champ gazier qatari.

Pour les Européens, qui cherchent des alternativ­es au gaz russe, cette équation géopolitiq­ue pourrait se révéler dangereuse tant elle réveille le souvenir des compromiss­ions d’antan, comme ce fut le cas entre l’Allemagne et la Russie. Notre dépendance croissante aux coffres-forts énergétiqu­es mondiaux ne doit pas nous faire fermer les yeux sur la nature des régimes des pays exportateu­rs. Au contraire, elle doit nous conduire à garder les plus hauts standards dans le commerce internatio­nal. Comme le prouve ce Mondial de tous les excès, il n’est plus possible de séparer les enjeux énergétiqu­es et commerciau­x de leur impact écologique, social et donc humain.

La France a été un véritable marchepied pour le Qatar en accueillan­t à bras ouverts ses gazodollar­s.

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