L’affaire Elon M.
En rachetant Twitter pour une somme absurdement élevée (44 milliards de dollars), symbole à elle seule de ses excès, Elon Musk a attiré sur lui le regard de la planète. Il n’y a, selon l’adage, que les fous et les milliardaires qui se croient totalement libres : à la manière d’un personnage de roman, il réussit à être les deux à la fois.
Il est fou, comme en témoignent ses lubies, par exemple celle de donner à son fils le nom d’une série de voiture : X AE A-12. La loi californienne a tenté de l’en empêcher, un prénom ne pouvant pas comporter de chiffres, mais il a contourné l’obstacle en utilisant les chiffres romains XII à la place. Fou comme en témoignent ses annonces absurdes faites en 2017 d’aller sur la Lune en 2022 et sur Mars en 2024, ou son projet de construire des Tesla dans une usine sans aucun humain, un projet au nom de code « Alien Dreadnought ». Au bord de la catastrophe, Elon M. avait dû reconsidérer ses plans dans l’urgence, résumant son infortune d’une formule lapidaire : « J’ai eu tort, les humains sont sous-estimés. » (« Humans are underrated. »)
La folie de Musk se révèle aussi dans ses plans de paix pour l’Ukraine (qui lui ont valu de l’ambassadeur d’Ukraine en Allemagne la réplique : « Ma réponse très diplomatique est d’aller vous faire foutre »), ou pour Taïwan…C’est peu dire que le débat concernant la modération des contenus sur Twitter est mal parti sous l’égide d’un tel personnage. Une étude de la revue « Science » a montré que les fake news circulaient sur ce réseau vingt-cinq fois plus vite que les informations dont l’origine est certifiée, et six fois plus vite encore lorsque le message vise une personnalité politique. Quelle est la réponse muskienne à cette prolifération ? Certainement pas d’augmenter le rôle et le nombre des médiateurs : leur nombre va baisser de 15 % avec la purge des personnels. L’idée de Musk est de faire payer l’authentification des comptes des personnalités qui l’utilisent. Pour 8 euros par mois, personne ne pourra usurper votre identité, un privilège qui était autrefois réservé (gratuitement) aux personnalités reconnues. L’abonnement s’accompagnera de quelques avantages additionnels comme celui d’apparaître en tête de recommandations… Au vu de l’usage qu’en avait fait Trump, grand consommateur en son temps de l’instrument, on voit mal comment cela suffirait à endiguer le flux de désinformations qui s’y déverse. Ce qui serait indispensable, à tout le moins, serait de certifier non pas (seulement) les personnes mais les informations elles-mêmes. Une règle simple pourrait être de mettre un bandeau bleu sur celles dont la source est identifiée, par exemple celles qui ont été publiées dans une revue avec un directeur de publication. Cela aurait le mérite de pouvoir attaquer ce dernier si les infos sont calomnieuses ou de lui demander des comptes. Cela n’empêchera pas les fake news de circuler mais permettra au moins aux utilisateurs de savoir à quoi s’en tenir…
Etant l’homme le plus riche du monde, Musk peut arguer de sa réussite personnelle pour attester que sa folie est source de valeurs. L’histoire économique est toutefois emplie de ces fake news que sont les bulles financières. La capitalisation boursière de Tesla est aujourd’hui trois fois supérieure à celle de Toyota, le premier constructeur mondial, lequel produit dix fois plus de voitures. Une Tesla justifie-t-elle une valeur boursière trente fois supérieure à celle d’une Toyota ? On peut en douter, tout autant qu’on peut soupçonner que Twitter, dont le chiffre d’affaires ne dépasse pas 3 milliards de dollars, ne vaille pas les 44 milliards que Musk a déboursés. Effrayés par le risque de chaos informationnel qu’il pourrait y installer, nombre d’entreprises ont d’ailleurs gelé leurs campagnes publicitaires sur Twitter, annonçant des réveils douloureux. Au moment où la crise financière a déjà fait baisser le cours de Tesla de moitié, faisant aussi plonger les plateformes de cryptomonnaies, on ne peut s’empêcher de penser que les dérèglements du monde réel s’apprêtent peut-être à dévaluer les fictions numériques et leurs protagonistes.
Il n’y a que les fous et les milliardaires qui se croient totalement libres. Musk réussit à être les deux.