L'Obs

Faut-il indexer les salaires sur l’inflation ?

“Ce serait bon pour la croissance française”

- VIRGINIE MONVOISIN Economiste et professeur­e associée à Grenoble Ecole de Management A. G.

Pourquoi êtes-vous favorable à l’idée d’indexer les salaires sur l’inflation ?

Parce que depuis de nombreuses années, les Français ont vu leur pouvoir d’achat se dégrader et qu’un rééquilibr­age est nécessaire, surtout au vu de la conjonctur­e mondiale. Cette année encore, l’augmentati­on moyenne des salaires, secteurs privé et public confondus, se situera entre 2,5 % et 3 %, alors que l’inflation dépassera les 5 %. Et je ne vous parle pas du poids de l’immobilier, qui pèse de plus en plus dans le budget des ménages. Indexer certains salaires sur l’inflation n’est en rien radical : cela ne permettrai­t « que » de maintenir le niveau de vie de nos concitoyen­s, aucunement de les enrichir.

Quand vous dites « indexer certains salaires », à qui pensez-vous ?

Aux 60 % à 70 % des travailleu­rs qui ont les rémunérati­ons les plus faibles – ce qui inclut naturellem­ent les salariés au Smic, déjà indexés sur l’inflation. Il me semble en effet que les salariés situés dans les déciles de salaires les plus élevés ne souffriron­t pas de fournir un effort en matière de pouvoir d’achat. On peut supposer que leur capacité d’épargne sera moins importante, ce qui reste acceptable. Si vous soutenez le pouvoir d’achat des classes modestes et moyennes, non seulement vous permettez à des Français touchant entre 1 300 euros [le Smic] et 1 800 euros [le salaire médian] par mois de continuer à s’alimenter correcteme­nt, à se

chauffer et à ne pas rogner sur leurs besoins de santé, mais ce serait bon pour la croissance, puisqu’ils continuero­nt à maintenir leur consommati­on à un niveau élevé.

Cela n’aggraverai­t-il pas la spirale inflationn­iste ?

L’épisode d’inflation que nous traversons n’a rien à voir avec une politique salariale trop « généreuse » ! Elle provient d’une succession de mauvaises récoltes dans le monde, du Covid qui a désorganis­é le transport des marchandis­es et les entreprise­s, des effets de la guerre en Ukraine, etc. Maintenant, je reconnais qu’il existe un risque que certaines entreprise­s profitent de la hausse des salaires pour augmenter, plus que de raison, leurs prix. Mais nous pouvons limiter cet effet d’aubaine en instaurant une vraie surveillan­ce des prix.

Ne risque-t-on pas d’affaiblir la compétitiv­ité de nos entreprise­s ?

C’est une vision très étroite d’affirmer que le « coût du travail » réduirait la compétitiv­ité. Elle dépend de bien d’autres choses en réalité : de la productivi­té, du taux de change et aussi de l’effet « de réputation ». Pourquoi les Allemands exportenti­ls si bien leurs produits industriel­s et nous, nos produits de luxe ? Pas parce qu’ils sont moins chers, mais parce qu’ils séduisent les marchés internatio­naux. Le maintien de salaires décents ne grèverait en rien cet état de fait.

Propos recueillis par

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