L'Obs

“Personne ne gagnerait à détériorer davantage la situation”

- NATACHA VALLA Economiste, doyenne de l’Ecole de management et d’innovation de Sciences-Po et coauteure du “Futur de la monnaie” (Odile Jacob) A. G.

On sait que l’inflation est difficilem­ent vécue par les ménages les plus fragiles. Ne faut-il pas en atténuer les effets en indexant justement les salaires sur l’inflation ?

Vous avez raison sur un point : il faut lutter à tout prix contre une inflation galopante, même si je vous rappelle que la France est moins touchée que ses voisins européens, grâce à un contrôle des prix et à une importante politique redistribu­tive [aides et allocation­s]. Par ailleurs, indexer les salaires sur l’inflation, cela se pratique déjà pour le salaire minimum, ce qui a un impact, direct ou indirect, sur une forte proportion de la masse salariale de notre pays. Mais étendre cette indexation à tous les salaires aggraverai­t l’inflation.

Pourquoi ?

Parce que, pour une entreprise, augmenter les salaires signifie augmenter l’ensemble de ses coûts de production et alourdir ses charges. Certaines ont certes les moyens de le faire, mais pour d’autres, cela signifiera­it une baisse importante de leur marge. Et aurait nécessaire­ment un impact sur les prix des produits… ce qui aggraverai­t, par ricochet, l’inflation. Pour les ménages les plus modestes, dans un premier temps, l’indexation serait donc un gain, mais les prix s’alignant vite, le retour de flamme risquerait d’être difficile. Je vous rappelle par ailleurs que si certaines grandes entreprise­s

françaises se sont beaucoup enrichies ces dernières années, la plupart pâtissent d’un contexte difficile, avec ce qu’on appelle un « coût d’offre », une forte augmentati­on des coûts due au renchériss­ement de l’énergie et des matières premières. Ce coût creuse leur endettemen­t, ce qui, dans un contexte de remontée des taux d’intérêt, est mauvais. Elles connaissen­t aussi des difficulté­s à recruter, donc à améliorer leur productivi­té. Personne ne gagnerait à détériorer davantage cette situation.

Que prônez-vous pour atténuer les effets de l’inflation ?

Le mécanisme le plus intéressan­t, à mon sens, est celui des aides ciblées versées par l’Etat, comme par exemple le chèque énergie. On peut bien sûr discuter de son montant, de sa durée et de la proportion des ménages qui en bénéficien­t, mais sur le principe, c’est une solution efficace. Quant au secteur privé, il faut encourager le versement de primes qui permettent de sauver le pouvoir d’achat des ménages le temps de la crise, sans alourdir les charges ni créer durablemen­t d’emballemen­t inflationn­iste. Je regrette que les syndicats français manquent de pragmatism­e à ce sujet et ne réclament pas davantage de primes. Se focaliser sur l’augmentati­on du salaire nominal n’est pas, à moyen terme, le meilleur levier.

Propos recueillis par

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