COUPE DU MONDE, COMBIEN DE MORTS ?
Officiellement on ne meurt pas au Qatar. Ou si peu : selon l’Organisation internationale du Travail (OIT), il y a eu 50 décès liés à des accidents du travail, 500 blessés graves et 37 000 blessés légers en 2020. Rapportés sur dix ans, on est bien loin du chiffre de «6 500 travailleurs migrants morts au Qatar depuis l’attribution de la Coupe du Monde», donné par le «Guardian» le 23 février 2021. «Ce chiffre, sorti de son contexte, reprend en réalité les données des ambassades du Pakistan, du Népal, du Bangladesh et du Sri Lanka sur la totalité de leurs ressortissants», explique Max Tunon du bureau qatari de l’OIT, qui admet ne pas pouvoir donner un bilan des décès sur les chantiers de la Coupe du Monde. D’abord, car la main-d’oeuvre a presque doublé entre 2008 et 2016. Ensuite, parce qu’il n’existe pas de méthodes de recensement fiables des morts par accident de travail, «les certificats de décès attribuant généralement ces morts à des “causes naturelles” ou un “arrêt cardiaque”», selon Lola Schulmann d’Amnesty International. Le Mondial a toutefois permis aux organisations internationales de pousser l’émirat à arrêter le «travail forcé» et à abolir le «kafala». Ce système de parrainage encore en vigueur dans d’autres pays du Golfe met l’employé sous la tutelle de ses employeurs, avec la confiscation de son passeport et l’interdiction de rentrer au pays. Sous la pression des ONG depuis dix ans, Doha a introduit des réformes incluant un salaire minimum de 1 000 riyals (274 euros), une durée maximale de travail hebdomadaire de 60 heures, un jour de repos et une pause obligatoire lorsque la température dépasse 40 °C. Le gouvernement a aussi créé des tribunaux spécialisés en droit du travail, et un fonds d’indemnisation en cas de non-paiement des salaires, qui aurait versé depuis sa création en 2018 plus de 160 millions de dollars à près de 40 000 travailleurs. Mais rares sont ceux qui en bénéficient, selon le Comité national des Droits de l’Homme : « Les réformes récentes témoignent d’un réel engagement du gouvernement pour changer les choses, mais restent peu suivies d’effet.» La barrière de la langue, la peur des représailles, le manque d’inspection, la durée des procédures judiciaires et les amendes trop légères pour les employeurs constituent des freins importants, qui dissuadent les travailleurs de porter plainte.