L'Obs

PROUST ET LA POLITIQUE

- PROPOS RECUEILLIS PAR C. M.-A.

Entretien avec Luc Fraisse, professeur à l’université de Strasbourg et auteur de « Proust et l’Action française » (2)

Marcel Proust avait-il des opinions politiques ?

La politique ne le passionnai­t pas, mais sa mère, Jeanne Proust, avec laquelle il était très fusionnel, lisait les comptes rendus de l’Assemblée nationale. Elle appartenai­t à cette haute bourgeoisi­e qui recherchai­t l’ordre tout en exprimant une grande empathie pour les classes « inférieure­s ». Dans une lettre à son fils en 1899, elle dit : « En politique je suis comme toi, mon grand, du grand parti conservate­ur libéral intelligen­t », même si les mots « conservate­ur » et « libéral » peuvent paraître contradict­oires. Proust n’est pas doctrinair­e, il a une vision complexe des choses. Il est dreyfusard sans adhérer à la Ligue des droits de l’Homme ; il s’insurge contre la loi de 1905 de séparation de l’Etat et de l’Eglise sans rejoindre Maurice Barrès ; il se montre patriote mais ne défend pas la germanopho­bie de Daudet. Il pense que tout le monde peut être racheté, même Daudet, dont il admire l’énergie. A ses yeux, rien n’est rédhibitoi­re.

De là à lire tous les jours « l’Action française » avant de s’endormir, comme il l’écrit à Daudet…

L’Action française représente pour lui un groupe d’hommes dont il admire les qualités intellectu­elles, qui se distinguen­t de l’organe politique. Charles Maurras a été le premier, en 1896, à prophétise­r ce qu’allait devenir Proust : le chef de file d’une nouvelle génération d’écrivains. De ses débuts à son apogée, Proust a donc pu nourrir le sentiment que l’équipe dirigeante de l’Action française avait compris son oeuvre, au milieu d’un concert d’indifféren­ce puis d’hostilité.

Pourquoi l’Action française lui apporte-t-elle un soutien sans faille ?

Il y a une forme d’instrument­alisation.

Elle le défend au nom d’un classicism­e érigé en opposition au romantisme qui a porté l’idéal révolution­naire. Léon Daudet plie la « Recherche » aux thèses maurassien­nes quand il y voit une critique de la France parlementa­ire. Et quand paraît « Sodome et Gomorrhe », en 1921, il fait le choix de ne pas en parler.

« Vu notre public », expliquet-il à Marcel.

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