L'Obs

Les fantômes de Valeria

LES AMANDIERS, PAR VALERIA BRUNI TEDESCHI. COMÉDIE DRAMATIQUE FRANÇAISE, AVEC NADIA TERESZKIEW­ICZ, SOFIANE BENNACER, LOUIS GARREL, MICHA LESCOT (2H06).

- SOPHIE GRASSIN

Avec ce film hanté par la mélancolie mais sans cesse à vif, comme travaillé par la fièvre – gloire au chef opérateur Julien Poupard ! –, Valeria Bruni Tedeschi replonge dans la matrice : ses années de formation aux Amandiers, école dirigée par un couple mythique, Pierre Romans (Micha Lescot) et Patrice Chéreau (Louis Garrel, photo), au mitan des années 1980. Elle fut de la fête, connut ce qu’elle réclama d’endurance, de ferveur, d’intégrité, et en ressuscite à la fois l’esprit et ses camarades de promotion – Eva Ionesco, Agnès Jaoui, Marianne Denicourt, Vincent Perez, Bruno Todeschini… – sous des projection­s fictives. Ici, par exemple, Valeria se prénomme Stella et prend les traits de la merveilleu­se Nadia Tereszkiew­icz (photo), jeune fille aisée, maison de maître et majordome, qui transpire le théâtre, cet absolu, par tous les pores, vite attirée par Etienne (Sofiane Bennacer, pas mal non plus), l’astre noir ébréché de la bande.

Auditions – ils sont tant, il en restera douze – soumission aux questions du jury sur leur motivation, liesse de la poignée d’élus, désespoir des autres : chez Bruni Tedeschi, on joue Tchekhov dans sa vie et sa vie dans Tchekhov. Ces douze-là, apôtres d’une Cène dont Chéreau reste le Dieu charismati­que et colérique, la réalisatri­ce les chérit à égalité, les fait tous exister, appliquant à la lettre le principe du maître qui change luimême les ampoules HS et exige le meilleur (on file « Platonov », ça ne rigole pas, le jeu figurant, pour lui, un sport de combat) : « On ne peut pas se montrer démocratiq­ue quand on fait une distributi­on… L’important, c’est le travail, pas la longueur du rôle sur scène. »

Dans « les Amandiers », son film le plus ambitieux, le plus abouti, on brûle les feux en voiture rouge et son existence par les deux bouts, on montre son cul, on gueule « Andy » des Rita Mitsouko, on tremble d’apprendre qu’on a le sida, on se drogue beaucoup trop (les patrons ne sont pas les derniers), on se marre, on raille, on chiale, entassés dans les toilettes des filles. Valeria Bruni Tedeschi met ses tripes et celles de ses acteurs sur la table, cherche le paroxysme tout le temps et le trouve à bon escient. Elle assure aussi avec le choix de ses superbes comédiens – on voudrait les citer tous – la relève du cinéma français pour un paquet d’années. Et rend enfin l’hommage qu’on attendait, tendre, aimant, mais pas non plus confit en dévotion à la statue du Commandeur Chéreau (Garrel est exceptionn­el), qui ne le reniera pas s’il le voit de là-haut.

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