L'Obs

CETTE NUIT LÀ, À SÉVILLE

LES BEAUX PERDANTS

- Documentai­re d’Hervé Mathoux et Stéphane Darmani (2022). 1h30. NEBIA BENDJEBBOU­R

Le 8 juillet 1982, à Séville, la France perd en demi-finale de la Coupe du Monde face à la RFA après une interminab­le séance de tirs au but. Le pays est en état de choc après avoir vibré avec ses Bleus, première équipe compétitiv­e depuis des lustres. Quarante ans plus tard, cette défaite reste toujours cruelle. Monsieur Foot de Canal+ depuis trois décennies, Hervé Mathoux revient sur ce « drame national », mille fois disséqué, qu’il a vécu adolescent, devant son poste de télévision. Il a, dit-il, voulu raconter sa « première rencontre avec l’injustice, cette douleur mêlée à cette douce nostalgie pour une époque où l’on osait encore aimer les perdants ». En 1982, cette compétitio­n servait (déjà !) d’exutoire à une France en pleine crise économique, et le business n’avait pas encore perverti le foot. Le spectacle était à la hauteur des enjeux : au fil des matchs, les Bleus se révélèrent grâce au « carré magique » : TiganaGeng­hini-Giresse-Platini. Passons sur l’intrusion surréalist­e sur la pelouse d’un cheikh koweïtien (qui fera annuler un but français) pour retenir l’image de Harald Schumacher percutant violemment Patrick Battiston à la 57e minute. Le joueur français est évacué, inconscien­t, sur une civière tandis que le gardien allemand reste imperturba­ble devant ses buts. Aujourd’hui, ce dernier revient avec franchise sur cet épisode : « Je ne savais pas s’il fallait que j’aille le voir ou pas […]. Je suis resté près de mon but. Peut-être que c’était de la lâcheté. » Après le match, il reçoit une avalanche de lettres d’insultes et même de menaces d’enlèvement de ses enfants. On va jusqu’à le comparer aux gardiens des camps nazis… Une campagne germanopho­be qui oblige Battiston à mettre le holà. « J’ai admis que c’était une faute impardonna­ble et je suis content qu’il m’ait pardonné ! », confie l’ancien gardien. Le match reprit dans une atmosphère de folie, avec cette fin digne d’une tragédie shakespear­ienne. « Pourquoi le football est-il plus intéressan­t que n’importe quel film de Hollywood ?, analyse le sociologue Albrecht Sonntag. Parce que le mal peut gagner à la fin. »

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