L'Obs

L’INCANDESCE­NCE D’UNE LIAISON

MARIA CASARÈS ET ALBERT CAMUS, TOI, MA VIE

- Documentai­re d’Elisabeth Kapnist (2022). 1h00. HÉLÈNE RIFFAUDEAU

Au printemps 1944, Maria Casarès rencontre pour la première fois Albert Camus. Jeune comédienne de 22 ans, elle assiste à la première représenta­tion d’un spectacle surréalist­e de Pablo Picasso (« le Désir attrapé par la queue ») dans l’appartemen­t de l’ethnologue Michel Leiris. Elle est envoûtée par l’écrivain, en charge de la mise en scène. Quelques mois plus tard, ils se retrouvent pour la lecture d’une pièce écrite par l’auteur, « le Malentendu ». Ils tombent éperdument amoureux. Pendant seize ans, les deux amants vont entretenir une relation passionnel­le, jalonnée de ruptures (Camus est marié avec Francine avec qui il aura deux enfants) et de retrouvail­les vibrantes. Comme ce 6 juin 1948, lorsqu’ils se croisent sur le boulevard Saint-Germain, quatre ans jour pour jour après leur première nuit ensemble. Leur liaison a engendré une correspond­ance riche de quelque 900 lettres incandesce­ntes. Gardées secrètes par la fille de Camus, elles ont été publiées en 2017 par la maison Gallimard. A partir de cette correspond­ance et des Mémoires écrites par la comédienne (« Résidente privilégié­e »), la documentar­iste Elisabeth Kapnist, à qui l’on doit de nombreux portraits originaux (« Céleste et Monsieur Proust », « les Frères Morozov, mécènes et collection­neurs », « Karen Blixen, le songe d’une nuit africaine »), nous plonge dans l’intimité de ces deux amoureux dont les mots nous transporte­nt avec force. Ils mettent aussi en lumière ce qui lie Maria et Albert. D’abord, la mélancolie qu’impose l’exil : l’Algérie pour lui, l’Espagne pour elle, qu’elle a quittée en 1936 – elle n’y retournera qu’après la mort de Franco, en 1975. Et puis, bien sûr, le théâtre, cette « patrie » qui a permis à l’actrice de « connaître plus d’échecs, de triomphes et de joies qu’on ne pourrait en accumuler dans la plus riche des existences ». La dernière missive envoyée par Albert Camus à Maria Casarès, le 30 décembre 1959, n’avait rien perdu de l’intensité des débuts. C’était cinq jours avant la mort du prix Nobel dans un accident de voiture aux côtés de Michel Gallimard.

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