Birenbaum, Let It Be
TOUTES LES HISTOIRES SONT VRAIES, PAR GUY BIRENBAUM, ÉDITIONS BRAQUAGE, 278 P., 22 EUROS.
Désormais, Guy Birenbaum parle de lui à la troisième personne. Ce n’est pas de la vanité, c’est de la pudicité. Le « je » n’en vaut plus la chandelle. La dernière fois que, dans un livre, il en a usé, c’était pour raconter sa dépression : « Un matin, j’ai été incapable de me lever. Je ne voulais voir personne ; j’avais peur de tout ; je ne me supportais plus, hanté par mon passé, par l’histoire de mes parents. Branché en permanence sur le Web, j’ai absorbé comme une éponge l’antisémitisme et la violence de l’époque. J’ai payé le prix fort. » (« Vous m’avez manqué », Les Arènes, 2015). Il était alors un journaliste de radio hyperconnecté et un réseauteur hypersocial, après avoir été un éditeur hyperengagé. Depuis, il s’est débranché de tout et a pris ses quartiers d’hiver sur la Côte fleurie, où il préside le Tennis-Club de Deauville, promène son berger australien sur la plage, dont il désensable les jouets en plastique oubliés, fait le matou au resto Les 4 Chats, photographie les ciels de traîne et compulsivement compulse ses souvenirs.
Dans le livre où il les rassemble, ils sont tous précédés d’une date et de l’âge qu’avait alors l’auteur, né en 1961 (bonne idée, le lecteur peut ainsi se situer lui-même le jour de l’assassinat de John Lennon, de l’élection de François Mitterrand ou du suicide de Bérégovoy. Il ne lit pas seulement, il se lit aussi). Chaque souvenir se présente comme une historiette. Ainsi la scène récurrente où les deux grands-mères de Guy Birenbaum, pareillement prénommées Rywka, qui s’esclaffaient en yiddish, tentaient d’assommer contre les murs ensanglantés de la cuisine la carpe aux yeux bleus avant de la farcir. Du très chic et catholique lycée Victor-Duruy, où, fils d’un résistant juif et communiste, il fut traité de « mouton noir » par l’aumônier, jusqu’à la fac de Montpellier, où, jeune docteur en science politique (sa thèse portait sur le Front national), il fut nommé maître de conférences, Guy Birenbaum assemble avec méthode les pièces de son puzzle intime. Par le pont des Belges, il glisse du Deauville de son enfance au Trouville de l’âge mûr. Par l’A13, il file, en Autobianchi Abarth, de la maroquinerie paternelle, rue de Sèvres, à l’Hôtel Normandy, sur le toit duquel jouent les Village People, et au Grand Hôtel de Cabourg, où Mireille Mathieu le trouve très « mignooooon ». Avec le temps, qui passe aussi vite que dans un film de Claude Lelouch, il troque les cabines téléphoniques pour le smartphone, les vinyles pour le MP3, le PSU pour la Nupes, le franc pour l’euro, « Globe Hebdo » pour France-Info et le surmenage pour la paresse. Laquelle, ajoutée à la sagesse du confinement, lui a inspiré ce livre rougeoyant comme un coucher de soleil sur la Manche, à l’instant précis où, sous une nuée de mouettes, les chalutiers rentrent au port.