L'Obs

Deux chefs en campagne

Les Australien­s James Henry et Shaun Kelly ont quitté Paris pour ouvrir une ferme-restaurant. Niché dans un village de l’Essonne, Le Doyenné vient de remporter le prix de la meilleure table du palmarès du guide Fooding

- Par CHRISTEL BRION

Une platine vinyle, la pochette fatiguée de la compil’ mythique « Shaolin Soul », une cheminée en pierre, un grand canapé italien en cuir… Pas exactement la déco qu’on attendait d’une ferme au beau milieu de l’Essonne, dans le village perdu de SaintVrain. Il faut dire que ces nouveaux agriculteu­rs sont un peu tatoués, un peu surfeurs, très anglo-saxons et, surtout, d’éminents cuisiniers qui ont fait les belles heures du paysage gastronomi­que branché du 11e arrondisse­ment de Paris. James Henry (39 ans) et Shaun Kelly (38 ans) ont chiné le mobilier éclectique du salon d’hiver, qui s’ouvre sur une imposante salle à manger à la charpente de cathédrale, sur laquelle repose une immense verrière offrant une vue unique sur le domaine.

Un hérisson passe lentement dans le jardin, James Henry s’affaire derrière la longue table en bois installée devant la cuisine ouverte et Shaun Kelly nous sert un pét’nat’ de Loire, avant de nous entraîner dehors, verre à la main. C’est dans les anciennes écuries du château de Saint-Vrain, successive­ment propriété de la comtesse du Barry, de Francesco Borghèse, puis de la famille de Mortemart, où Niki de Saint Phalle et Jean Tinguely ont créé leurs oeuvres dans les années 1970, que les deux Australien­s se sont retrouvés. Après leur rencontre à Melbourne, en 2009, leurs chemins se sont séparés: ce fut le St. John, du chef Fergus Henderson, à Londres, pour Shaun, et le Spring, du chef américain Daniel Rose, à Paris, pour James. Ils se croisent au Passage, où James Henry remporte un prix décerné par le guide Fooding en 2012. Puis ce dernier confirme son talent chez Bones, entre 2013 et 2015, où il confection­ne lui-même son pain, son beurre et les salaisons. A quelques pas de là, son compère fait souffler un vent de renouveau chez Yard.

Dans ce tourbillon de la vie gastronomi­que, les deux compatriot­es se sont connus, reconnus et enfin retrouvés dans ce projet, lancé en 2017, d’un restaurant de ferme. « Un endroit où nous pourrions cultiver une grande partie de la nourriture dont nous avons besoin, où il n’y aurait qu’à se baisser pour ramasser », raconte Shaun, ouvrant les bras devant le résultat : un immense potager, créé selon les principes de l’agricultur­e régénérati­ve et qui permet de se passer d’engrais et de pesticides. Exit, donc, les transports réfrigérés, ce sera juste la rosée du matin sur des légumes qui jouent les premiers rôles dans l’assiette.

En cuisine, James Henry règne sur une brigade internatio­nale composée de Japonais, Canadiens, Américains, Suisses, Israéliens et Indiens. A table, on dévore les tranches, épaisses et croustilla­ntes, du pain de campagne au levain de Lori Oyamada, la boulangère américaine de l’iconique Tartine Bakery de San Francisco. Avant de déguster une étourdissa­nte tarte fine d’aubergines et cèpes au sarrasin sur un lit de ricotta fumée ; une salade de chou, d’aneth et de livèche à la crème crue ; et une lotte à la braise. « Des plats de terroir sans manières, avec juste ce qui est nécessaire », souligne James Henry, avant de préciser « inspirés par une cuisine française en liberté ». ■

Le Doyenné, 5, rue Saint-Antoine, 91770 Saint-Vrain. Tel.: 06-58-80-25-18. Menu à 45 € ou 80 €.

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SHAUN KELLY (À G.), JAMES HENRY ET LEUR SALLE À MANGER.

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