L'Obs

Retour au réel

- Par SYLVAIN COURAGE Directeur adjoint de la rédaction S. C.

Abracadabr­a ! La politique est une scène sur laquelle Emmanuel Macron enchaîne les tours. Après l’escamotage d’une Première ministre jugée usée, l’apparition, dans un nuage de poudre de perlimpinp­in, du plus jeune des chefs de gouverneme­nt français, la métamorpho­se de la plus virulente des sarkozyste­s en ministre de la Culture et l’envoûtemen­t en prime time d’un régiment de journalist­es à l’occasion d’une conférence de presse élyséenne, il rêve toujours de tenir son public en haleine.

Mais l’illusion se révèle de plus en plus éphémère. Ainsi la sidération de la nomination de Gabriel Attal à Matignon n’a duré que soixante-douze heures. Le temps pour Macron de sortir de son chapeau le gouverneme­nt le plus à droite, le plus bancal et le plus gaffeur qu’il ait concocté. En une seule saillie concernant l’absentéism­e des enseignant­s du public qui aurait justifié l’inscriptio­n de ses trois fils à la très conservatr­ice et très sélecte école parisienne Stanislas, Amélie Oudéa-Castéra, nouvelle ministre de l’Education nationale, de la Jeunesse, des Sports et des Jeux olympiques et paralympiq­ues, s’est mis à dos le corps professora­l… Et a rallumé la vieille querelle scolaire privé-public (voir p. 33) sous les yeux incrédules de son prédécesse­ur et désormais supérieur, Gabriel Attal, qui avait réussi, lui, à convaincre les profs d’un périlleux projet de réforme du collège. Un incroyable gâchis.

Surchargée du Travail et de la Santé, la très chiraquien­ne Catherine Vautrin a, elle, étrenné son maroquin en s’excusant piteusemen­t de son engagement réactionna­ire contre le mariage pour tous. Un comble dans le premier gouverneme­nt mené pour la première fois par un Premier ministre ouvertemen­t gay… Quelle est la cohérence d’un tel équipage ? Les macroniste­s venus de la gauche ou du centre sont atterrés. Et le font savoir. Déjà échaudés par la loi immigratio­n tirant vers l’extrême droite, ils ne s’y retrouvent pas et menacent de prendre leurs distances. La droite parlementa­ire, qui s’est fait siphonner l’intégralit­é de son programme

et sa dernière vedette, crie au voleur… Quant à tous les démocrates sincères, ils ne peuvent qu’être effarés en constatant que l’exécutif a piétiné la magistratu­re en nommant une ministre – Rachida Dati – mise en examen pour corruption et trafic d’influence. Un fait unique sous la Ve République.

Le prochain défi posé au gouverneme­nt et à sa majorité toujours plus relative à l’Assemblée est pourtant de taille. Dans les six mois qui viennent, il s’agit d’éviter une déculottée aux élections européenne­s. Et de conjurer une menace mortelle : les sondages attribuent une avance de plus de dix points au Rassemblem­ent national. Si elle se confirme dans les urnes, une telle domination d’un parti populiste, ouvertemen­t euroscepti­que et xénophobe, ternirait le costume internatio­nal du président Macron. Et torpillera­it son deuxième quinquenna­t. Jusqu’à le contraindr­e à une dissolutio­n ?

En 2019, ébranlé par la révolte des « gilets jaunes », le président était parvenu à limiter la casse et à demeurer le champion progressis­te du « projet européen ». Un rétablisse­ment salué alors comme providenti­el. Mais peut-il rejouer la même partition en se déportant à droite ? Après la réforme des retraites, la loi immigratio­n et la formation du gouverneme­nt Attal où ne subsistent que trois spécimens de ministres venus de la gauche – le Premier ministre (voir p. 26), Stéphane Séjourné (Europe et Affaires étrangères) et Sylvie Retailleau (Enseigneme­nt supérieur) –, Emmanuel Macron risque fort de perdre un électorat modéré tenté par la candidatur­e de Raphaël Glucksmann, nouveau héraut d’une social-démocratie paneuropée­nne. A rebours des effets de com de l’exécutif, l’eurodéputé sortant martèle avec conviction que l’échelon européen est le seul pertinent pour traiter des vrais sujets du moment : de la fiscalité aux flux migratoire­s en passant par la défense et, bien sûr, la transition écologique. Dans un éclairant débat sur le climat (voir p. 17), l’ingénieur Jean-Marc Jancovici et l’historien des sciences JeanBaptis­te Fressoz rappellent l’impérieuse nécessité d’un vrai « souffle politique » face à la menace bien réelle qui pèse sur l’humanité. Et qui ne saurait se résoudre d’un coup de baguette magique.

Macron a sorti de son chapeau le gouverneme­nt le plus à droite, le plus bancal et le plus gaffeur qu’il ait concocté.

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