La “nation start-up” préfère les gadgets
Cette année encore, la France était l’un des pays les mieux représentés à la grand-messe technologique du Consumer Electronics Show (CES) de Las Vegas : 135 start-up tricolores y ont exposé leurs dernières nouveautés, dans des domaines aussi variés que la santé, l’environnement ou le sport. La France compte au total quelque 20 000 jeunes pousses technologiques, parmi lesquelles une vingtaine de licornes – dont la valorisation dépasse le milliard de dollars. Alors, cocorico pour la « nation start-up »? Hélas… non. Tandis que l’on se félicite de briller sur le Strip, une pépite biomédicale tricolore, qui avait le potentiel de révolutionner la transfusion sanguine, est passée sans bruit sous drapeau américain. C’est la triste histoire d’Erypharm, malheureusement emblématique de notre incapacité persistante à transformer notre science académique de haut niveau en succès entrepreneurial.
Résumons: sous la direction de l’éminent professeur Luc Douay – ancien chef du service d’hématologie biologique de l’hôpital Saint-Antoine et ex-directeur médical de l’Agence française du Sang –, une équipe mixte Inserm/Sorbonne université a capitalisé sur vingt ans de recherche publique pour mettre au point un procédé unique au monde de fabrication de globules rouges universels. Pour développer ce savoirfaire, fondé sur la bioculture de cellules souches de la moelle osseuse, l’équipe crée en 2016 la société Erypharm, et lève 16 millions d’euros.
L’intérêt de cette technologie, qui a fait l’objet de nombreuses publications scientifiques, est mondialement reconnu. N’impliquant aucune modification génétique, elle ne pose en effet ni problème éthique ni risque oncologique. Au contraire, ces « néo-globules rouges », qui ont une durée de vie plus longue que les cellules sanguines natives, ont le potentiel de diviser par deux le nombre de transfusions nécessaires aux patients polytransfusés. Non seulement cette technologie peut améliorer la qualité de vie de dizaines de millions de malades souffrant d’anémie chronique, mais elle est aussi susceptible de contribuer à pallier la pénurie de sang, inéluctable à terme.
Mais voilà : Erypharm n’a jamais réussi à trouver les quelque 20 millions d’euros nécessaires pour passer au stade de la production. C’est que la start-up n’était pas susceptible de dégager assez vite le sacro-saint « retour sur investissement » attendu par les fonds de capital-risque. Ses perspectives commerciales n’étaient pas non plus assez alléchantes pour les grands groupes pharmaceutiques hexagonaux. Plus grave : ces chercheurs hors pair n’ont pas non plus reçu le soutien des institutions publiques. Alerté, l’Elysée d’Emmanuel Macron – qui se vante régulièrement de favoriser
« l’innovation de rupture » – a même sciemment laissé tomber cette deep tech tricolore. « La France manque d’audace et de vision », déplore Luc Douay qui se dit
« triste pour le pays » de cette occasion manquée. Sa société avait en effet, dès l’origine, été repérée outreAtlantique : « Séduite par la possibilité de fabriquer des globules rouges pour ses soldats, l’agence du département américain de la Défense chargée de la recherche (Darpa) a même conçu un appel d’offres fondé sur nos travaux ! »
Aussi, c’est la société américaine Safi Biotherapeutics qui a, début janvier, racheté la technologie d’Erypharm, dont l’équipe a été dissoute. Alors que les start-up françaises ont levé 8,3 milliards d’euros l’an dernier, et que le plan « France 2030 » martèle son ambition de « faire de la France la première nation européenne innovante et souveraine en santé », le pays n’a pas su se mobiliser pour permettre à Erypharm d’exploiter une technologie stratégique, sur laquelle elle faisait la course en tête. Par contraste, les capitaux et les aides pleuvent sur des applications gadgets, à l’utilité sociale parfois discutable. Comme ce « jumeau numérique » pour essayer virtuellement des vêtements, cette intelligence artificielle qui mesure nos émotions au service des e-commerçants, ou ce capteur capable de comparer la puissance de frappe d’un joueur de foot à celle de ses copains…
Erypharm est emblématique de notre incapacité à transformer notre science académique de haut niveau en succès entrepreneurial.