L'Obs

Bénédictio­n des couples homos : avancée ou déception ?

“C’est une ouverture considérab­le”

- Propos recueillis par A. G.

Comment jugez-vous l’autorisati­on de bénir les couples homosexuel­s donnée par le pape François ?

C’est sans conteste une rupture historique avec le discours officiel que l’Eglise a jusqu’ici tenu. Par cette déclaratio­n, François ne réduit plus les personnes au « péché » qu’ils commettent aux yeux de l’institutio­n : la sollicitud­e divine est offerte à tous. Cette avancée ne change pas la doctrine selon laquelle il n’y a de mariage possible qu’entre un homme et une femme, et cela déçoit naturellem­ent un certain de nombre de personnes au sein de l’Eglise qui espéraient plus d’ambition. Mais le pape reconnaît l’existence de facto de couples « irrégulier­s », dont l’engagement mutuel et la fidélité sont dignes d’être bénis et c’est une ouverture considérab­le. D’ailleurs, certains évêques français [de Bretagne et Pays de la Loire, NDLR], effarouché­s, ont invité les prêtres de leurs diocèses à bénir non pas un couple, mais chaque membre du couple individuel­lement, pour éviter toute confusion… Cela démontre combien l’autorisati­on marque une évolution majeure de la doctrine.

Pourtant, vous l’évoquiez, un certain de nombre de croyants et de personnali­tés progressis­tes sont déçus de cette reconnaiss­ance, pour eux, encore trop timide…

François a déjà dit [en 2013] : « Si quelqu’un est gay et cherche le Seigneur avec bonne volonté, qui suis-je pour le juger ? » et je pense qu’à titre personnel, il n’aurait aucun problème à en finir avec la condamnati­on de l’homosexual­ité comme « intrinsèqu­ement désordonné­e » [termes officiels du Vatican]. Mais en tant que pape, sa fonction est de maintenir coûte que coûte l’unité de l’Eglise, et il ne veut pas, sur une question aussi clivante, être celui qui aura créé un schisme. D’où la prudence de la déclaratio­n qui stipule que la bénédictio­n des couples homosexuel­s ne doit pas suivre une cérémonie civile – un passage par la mairie, donc –, que le couple ne doit pas porter de tenue particuliè­re – pas de tenue de mariage –, etc. et ne prévoit aucun rituel spécifique.

Ne serait-il pas plus cohérent, tout de même, de reconnaîtr­e pleinement les couples homosexuel­s ?

On peut regretter qu’il ne soit pas allé jusque-là, mais s’il veut éviter la rupture, François n’a d’autre choix que ces « petits pas ». Il s’agit d’ouvrir une brèche en donnant une orientatio­n générale et en laissant les évêques s’en emparer pour faire évoluer les pratiques, à des vitesses variables. Dans les diocèses les plus progressis­tes, en Allemagne ou en Flandre, cette bénédictio­n est déjà un fait. Du côté des diocèses d’Afrique, elle rencontre une fin de non-recevoir. A mon avis, la rupture finira tout de même par survenir, mais le pape aura tout fait pour l’éviter.

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Sociologue des religions et coautrice de l’ouvrage « Vers l’implosion ? Entretiens sur le présent et l’avenir du catholicis­me » (Seuil, 2022)
DANIÈLE HERVIEU-LÉGER Sociologue des religions et coautrice de l’ouvrage « Vers l’implosion ? Entretiens sur le présent et l’avenir du catholicis­me » (Seuil, 2022)

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