“Ce texte risque de ne satisfaire personne”
Quel regard portez-vous sur la déclaration vaticane autorisant la bénédiction des couples homosexuels ?
D’un côté, c’est la première fois que l’autorité centrale de l’Eglise catholique a officiellement une parole positive sur l’existence de couples homosexuels en son sein, alors qu’ils sont criminalisés dans plusieurs pays avec le soutien des épiscopats locaux. D’un autre, c’est un recadrage de pratiques qui existent déjà et dont l’officialisation est réclamée notamment en Flandre et en Allemagne. En somme, c’est une déclaration qui doit faire avec la fiction de l’unité d’une Eglise, en réalité plurielle et surtout polarisée. Si son contenu prend le risque de ne satisfaire ni les uns ni les autres, il est surtout le révélateur d’un schisme qui est déjà là.
Justement, le pape François pouvait-il aller plus loin ?
Quand on voit combien cette déclaration plus que prudente provoque de réactions violentes ou gênées, on se dit qu’un texte plus audacieux n’aurait pas été accueilli différemment. Elu en pleine Manif pour tous [mouvement hostile au mariage homosexuel, NDLR] et croisade anti-genre, François semblait vouloir désengluer le catholicisme de son obsession pour l’homosexualité en ramenant sur le devant de la scène d’autres préoccupations. Il est aujourd’hui rattrapé par la patrouille, si je puis dire. L’homosexualité reste « l’éléphant dans la pièce » du catholicisme, notamment parce que son clergé célibataire joue le rôle de refuge pour des homosexuels qui ne trouvent aucun autre espace pour s’épanouir dans l’Eglise.
Quel peut être l’effet à long terme de ce texte ?
Il est possible que la polémique s’éteigne progressivement, qu’elle ait, à terme et localement, le même effet que le débat sur le mariage pour tous au sein du catholicisme français – qui s’est mis à parler d’homosexualité, ce qui a contribué, paradoxalement, à une certaine normalisation. A force d’assister à des bénédictions, il est possible que les catholiques s’habituent. Si le pontificat de François dure, il pourrait faire confirmer leur autorisation par le synode [assemblée consultative des évêques] en cours. Dans le cas inverse, il se pourrait que la mouvance réactionnaire très bruyante l’emporte et débouche sur l’élection d’un conservateur à sa suite, qui enterrerait le texte. En attendant, l’autorisation des bénédictions est là. C’est une brèche dans l’édifice. Les évêques sont libres de la restreindre, mais, ce faisant, ils prennent le risque que les prêtres leur désobéissent au nom de l’obéissance au pape... ou que certains « cathos bon teint », parents d’enfants concernés et aujourd’hui demandeurs, se rebiffent.