Post-scriptum aux “Misérables”
JUSQU’À CE QUE MORT S’ENSUIVE, PAR OLIVIER ROLIN, GALLIMARD, 208 P., 19 EUROS.
On ne fait pas assez attention aux personnages mineurs des grands romans. Tout est grand, dans un grand roman, même les figurants. Certains cachent même parfois des destins extraordinaires. C’est ce qu’a pressenti Olivier Rolin (photo) devant une digression des « Misérables » où, « dans le premier chapitre du livre premier de la cinquième partie »,
Victor Hugo évoque juin 1848 et, avec la simplicité homérique qui caractérise son génie, « la Charybde du faubourg Saint-Antoine et la Scylla du faubourg du Temple », soit « les deux plus mémorables barricades que l’observateur des maladies sociales puisse mentionner ». Chacune de ces barricades a son chef : ici, Frédéric Cournet, un officier de marine converti au progressisme républicain de Ledru-Rollin ; et là, Emmanuel Barthélemy, un ouvrier qui a épousé le socialisme révolutionnaire de Blanqui. Deux insurgés qui s’affronteront par ailleurs quatre ans plus tard, en exil, dans « le dernier duel livré en Angleterre ».
Qui étaient-ils vraiment ? Porté par « l’espèce de griserie, pour ainsi dire entomologique, qu’on éprouve à grossir cent fois, mille fois, comme sous un microscope, la première image qu’on a d’eux », Rolin a épluché des masses d’archives. Il a arpenté la campagne britannique sous la pluie et les pavés de la rue du Faubourg-duTemple, qui côtoie les lieux des attentats du 13-Novembre. Il a mobilisé son encyclopédique mémoire de lecteur, où l’on croise aussi bien Dickens que Louise Michel ou Oscar Wilde. Son enquête, impressionnante de détails et de formules, reconstitue par le menu les trajectoires du « blanquiste » et du « rolliniste » mentionnés par Hugo. On s’y perd un peu parfois, mais l’auteur de « Tigre en papier » (2002) a retrouvé avec eux « les figures du militant et de l’aventurier » qu’il a lui-même connues à l’époque de son engagement dans la Gauche prolétarienne, et su faire enfin de ces deux silhouettes « des personnages, et même des personnes ». Avec, à l’arrivée, cette conviction qui était déjà là lorsqu’il écrivait « Un chasseur de lions » (2008) : « Les livres servent à en susciter d’autres », dans un mouvement qui est celui de « la vraie vie ». CQFD.