Les fantômes de Julien Creuzet
OH TÉLÉPHONE, ORACLE NOIR (…), MAGASIN CNAC, GRENOBLE. MAGASIN-CNAC.ORG. JUSQU’AU 26 MAI.
Julien Creuzet, 37 ans, représentera la France à la prochaine Biennale d’art contemporain de Venise (du
20 avril au 24 novembre 2024). L’exposition que lui consacre sur plus de 2 000 m2 le Magasin, centre national d’art contemporain à Grenoble, dirigé par Céline Kopp (elle est, avec Cindy Sissokho, la commissaire du pavillon français à Venise), peut se voir comme un prélude au raout italien et un état des lieux du travail de l’artiste aux origines ultramarines. Le visiteur découvre tout d’abord un archipel de sculptures aux formes décharnées suspendues à la verrière métallique construite par Gustave Eiffel. Elles sont constituées de résidus de plastique, de filets de pêche, de rebuts amalgamés. Cette hybridation des matières est bien moins fascinante que les collages vidéo au charme organique et sophistiqué qu’orchestre Julien Creuzet.
Le plasticien, qui a grandi en Martinique, puise dans le passé douloureux de l’île (exploitation des hommes, colonisation, pollution des sols) pour inventer un langage (chant, poésie) et créer de nouvelles formes qui sont autant d’instruments de résistance. Dans sa vidéo la plus récente, le songe subaquatique « Zumbi Zumbi », il redonne vie numériquement à Zumbi dos Palmares (1655-1695), chef de guerre d’un royaume autonome fondé au Brésil au xviie siècle par des esclaves insurgés, devenu une icône du combat antiesclavagiste. A sa manière douce et mélancolique, l’artiste rappelle la véritable histoire de celui qui fut décapité et dont le nom, transformé en « zombie », est désormais synonyme dans l’imaginaire collectif de mort-vivant. Julien Creuzet puise dans les entrailles des luttes anticoloniales le matériau de récits initiatiques. Envoûtant.