L'Obs

L’OEUVRE D’UNE VIE

DÉSIR ET RÉBELLION, “L’ART DE LA JOIE” DE GOLIARDA SAPIENZA

- MARIE LAURE MICHELON

Documentai­re de Coralie Martin (2023). 52 min. 22h25 ARTE

« J’ai toujours écrit sur les femmes. Pas par féminisme primaire, parce que je voulais explorer ce qui concerne mon sexe, mon monde, mon univers. » En 1976, Goliarda Sapienza, écrivaine sicilienne inconnue, achève un roman de 800 pages, « l’Art de la joie ». L’oeuvre d’une vie : celle de Modesta, née le 1er janvier 1900 sur le flanc de l’Etna dans une famille miséreuse dont elle cherchera toute sa vie à s’émanciper, transgress­ant toutes les lois pour atteindre ses désirs. Durant vingt ans, l’autrice essuie des refus de toutes les maisons d’édition italiennes. L’histoire de son héroïne sulfureuse en lutte contre le fascisme et le patriarcat n’est toujours pas audible dans l’Italie des années 1980. Sapienza meurt d’un infarctus en 1996, sans avoir vu son roman publié. Il faudra attendre 2005 pour qu’une maison d’édition française s’intéresse à « l’Art de la joie ». Viviane Hamy fait traduire le texte et, à sa sortie, le succès est immédiat. En quelques semaines, il devient un phénomène ; en quelques années, il est considéré comme une oeuvre majeure de la littératur­e. En revenant sur la genèse du roman, la documentar­iste Coralie Martin brosse le portrait fascinant de son autrice. Née en 1924 à Catane, en Sicile, Goliarda Sapienza grandit dans une famille de sept enfants. Ses parents socialiste­s, utopistes et anarchiste­s refusent de la scolariser dans les écoles du régime fasciste : « Ils feront de toi une imbécile », lui répète son père. Eduquée par ses frères, elle se forge une conscience politique et féministe qui ne la quittera jamais. Entière et intransige­ante, elle le restera aussi, malgré la tentation de retravaill­er « l’Art de la joie » pour lui faire passer la censure, comme elle le confie dans l’un de ses carnets de bord : « Je cherche la façon de couper quelques griffes à la claire pensée de ma Modesta. C’est très difficile mais peut-être pour une fois dois-je le faire ? Je ne voudrais pas entièremen­t ensevelir cette enfant mort-née que j’ai faite. Elle doit vivre, fût-ce au prix de crier moins fort ses exigences vitales de rébellion »… Goliarda Sapienza n’en touchera finalement pas une virgule et c’est dans son intégralit­é que le roman rencontrer­a son public trente ans plus tard.

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