A contre-courant
Vies électriques, par Dalibor Frioux,
Grasset, 384 p., 23 euros.
●●●○○ Après le pétrole, l’électricité. Dalibor Frioux s’est fait connaître avec « Brut » (Seuil, 2011), roman d’anticipation sur une plateforme pétrolière en Norvège. Il s’intéresse cette fois à deux pionniers des électrodes, deux explorateurs méconnus mais bien réels du cerveau humain : Hans Berger, neurologue allemand à l’origine de l’électroencéphalogramme au début du xxe siècle, et Zenon Drohocki, juif polonais qui réussit à poursuivre ses expériences sur les électrochocs dans l’hôpital d’Auschwitz-Monowitz. Récit branché sur courant alternatif, « Vies électriques » oscille entre ces deux destins contraires. D’un côté, l’enfance choyée de Hans dans une famille prospère et sa progressive adhésion au nazisme ; de l’autre, l’effroyable quotidien de Zenon dans le camp de concentration. C’est d’ailleurs l’aspect le plus saisissant du livre, la façon dont ce brillant chercheur arrêté par la Gestapo en 1943 a négocié sa survie grâce à ses tests sur des cobayes pas toujours volontaires. Son boîtier bricolé devient un talisman. Les SS s’attroupent pour assister à ses démonstrations et se repaître des convulsions des détenues aux corps arqués comme sous l’effet de la jouissance. En regard, les pages sur Berger, lestées des lettres à sa soeur disparue, paraissent plus plates. Peut-être est-ce là la triste banalité du mal. Aussi opposées soient-elles, les trajectoires des deux hommes se rejoignent dans l’alliance faustienne entre la science et la guerre, le progrès et la destruction. Loin des Lumières.