L'Obs

Cannaregio mio Alors que la Biennale débute le 20 avril, on s’éloigne de l’agitation touristiqu­e du centre pour se perdre dans les ruelles du ghetto. Au-dessus du Grand Canal, ce quartier populaire a gardé toute son âme

- Par Dorane Vignando

C’est dorénavant la martingale d’un séjour réussi à Venise : dégotter un petit hôtel exquis à un tarif raisonnabl­e, et de préférence dans un quartier qui résiste au surtourism­e. Dans le nord de la Cité des Doges, le Cannaregio fait partie de ces faubourgs préservés. C’est là d’ailleurs que vivent et travaillen­t la plupart des Vénitiens, et forcément les prix y sont plus raisonnabl­es. Vous y entendrez des couples s’engueuler en dialecte local derrière les persiennes, des petites mamies acheter leurs légumes à l’étal de barques flottantes, des enfants sortir bruyamment de l’école, une bande de copains trinquer sur une altana, cette terrasse en bois typique posée sur le toit des maisons… Et puis le Cannaregio, c’est aussi le quartier de l’ancien ghetto juif qui vit le jour en 1516, quand le gouverneme­nt de Venise décida de regrouper les membres de la communauté juive dans le nord de la ville, sur le site d’une ancienne fonderie. Aujourd’hui, on y visite ses synagogues et son musée dédié. Quant au Campo del Ghetto Nuovo (Nouveau Ghetto), il a repris vie avec l’installati­on d’une petite communauté loubavitch qui y a ouvert des librairies et des magasins casher… comme à Brooklyn.

Mais le Cannaregio recèle d’autres pépites, à commencer par l’architectu­re ecclésiast­ique. A l’instar de l’église Santa Maria dei Miracoli (1481) de Pietro Lombardo, entièremen­t revêtue de marbre précieux, ou l’église de la Madonna dell’Orto, paroisse du Tintoret. De nombreuses oeuvres du maître y sont conservées, ainsi que ses cendres. A quelques pas de là, c’est l’église de Sant’Alvise qui dévoile les envolées lyriques du Tiepolo. Et dans la petite chapelle de San Giovanni Crisostomo se cache un sublime retable de 1510 signé Sebastiano del Piombo.

Pour un moment de pure lévitation, on ira dans le jardin secret de Ca’Morosini Del Giardin, avec son potager et son jardin botanique croulant sous les fleurs, accessible sur demande aux soeurs dominicain­es qui en prennent soin. Enfin, et surtout, ne pas oublier de visiter le Ca’d’Oro, le palais le plus splendide du quartier. De style gothique, il abrite une importante collection d’art qui appartenai­t au baron Giorgio Franchetti.

La suite de la balade ? Elle se passe au comptoir de la Torrefazio­ne Cannaregio, autour d’un

excellent cappuccino et d’une brioche… Mais très vite, c’est déjà l’heure de l’apéro. Moment sacré qui a un nom : le giro d’ombra (ou tournée des bars). Dans la populaire Fondamenta della Misericord­ia, les habitants s’agglutinen­t déjà dans les bacari, ces bars exigus où l’on commande au comptoir des ciccheĥi, petites bouchées, souvent des tartines aux légumes, au fromage frais, à la charcuteri­e, au thon, à croquer avec un trait d’huile d’olive. A la tête de Vino Vero, Maĥeo et Mara les accompagne­nt de vins naturels italiens subtils, et l’adresse, qui fait fureur, arbore fièrement un panneau indiquant : « Ici pas de spritz, nous aimons le vin ! »

Avec son verre, on s’assied sur des tapis disposés au bord du canal ou dans des hamacs dressés entre les paline, les emblématiq­ues poteaux d’amarrage. Que demander de plus ? Peut-être une table au Paradiso Perduto, la cantine des habitants du coin où le fantasque patron Maurizio maîtrise l’art d’accommoder les poissons et crustacés de la lagune avec un certain sens de la commedia dell’arte. Des marmites rustiques et fumantes garnies de poulpes impression­nants sont posées juste à côté des tablées joyeuses. Repus, certains clients se trémoussen­t au rythme des morceaux de jazz joués en live au piano-bar. Venezia perfeĥa.

 ?? ?? ↑ Toute l’âme de la Cité des Doges, loin du surtourism­e.
↑ Toute l’âme de la Cité des Doges, loin du surtourism­e.
 ?? ?? ↑ Sur le rooftop de l’hôtel Nolinski.
↑ Sur le rooftop de l’hôtel Nolinski.
 ?? ?? ← S’attabler en terrasse à toute heure.
← S’attabler en terrasse à toute heure.

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