Le cataclysme haïtien
Cataclysmique », c’est le mot choisi par l’ONU pour qualifier la situation à Haïti. Le chaos et la violence affligent depuis longtemps le petit Etat le plus peuplé des Caraïbes, mais, ces deux dernières années, ils ont atteint un niveau sans précédent. En 2021, le président Jovenel Moïse a été assassiné dans son palais et le pays est devenu incontrôlable. Depuis, un gouvernement non élu a été incapable de maintenir l’ordre avec une police dépassée et corrompue, et une armée qui ne compte que 2 000 soldats. Les gangs, qui opéraient dans les bidonvilles, ont étendu leur emprise sur la capitale, Port-au-Prince, qu’ils contrôlent à plus de 80 % : 200 gangs sont désormais actifs en Haïti, semant la terreur, violant et massacrant la population dont les cadavres sont abandonnés dans les rues comme autant de menaces à destination des gangs adverses.
Cela fait ainsi trois semaines que le Premier ministre Ariel Henry, détesté par les Haïtiens, a démissionné, laissant place à un conseil de transition réclamé par les dirigeants des quinze pays de la Communauté caribéenne, soucieux de trouver une issue à la crise et d’éviter la déstabilisation de la région. Ce conseil, qui devrait être soutenu par une force d’interposition kenyane, a annoncé mercredi chercher à restaurer « l’ordre public et démocratique » dans un pays qui n’a pas voté depuis 2016… Mais comment inventer une institution légitime en dehors du cadre institutionnel dans un pays où la classe politique est profondément divisée ? Pour l’instant, aucune personnalité forte ne semble s’imposer. Alors qui aidera Haïti ?
Pas l’ONU. En 2004, lorsque Jean-Bertrand Aristide a été évincé de la présidence, plusieurs milliers de soldats des Nations unies ont été déployés en Haïti. Mais, en juillet 2005, ils ont été pris dans une interminable fusillade avec un des gangs de Cité-Soleil, le plus grand bidonville de Port-au-Prince, tirant plus de 22 000 balles et tuant jusqu’à 50 personnes, dont des femmes et des enfants. Les soldats de la paix ont aussi été accusés d’agressions sexuelles et ont causé une épidémie de choléra, en déversant des eaux usées dans une rivière qui a causé la mort de 10 000 Haïtiens. L’ONU ne s’est jamais officiellement excusée ni n’a dédommagé les victimes, et Haïti s’est senti trahi par la communauté internationale.
Les Etats-Unis ne s’impliqueront pas non plus, s’ils peuvent l’éviter. Antony Blinken vient d’annoncer qu’il doublera l’aide financière américaine destinée à asseoir l’autorité du conseil de transition (elle passera de 100 à 200 millions de dollars). Mais le sort de Haïti ne passionne pas la Maison-Blanche, comme l’a rapporté Jon Lee Anderson dans le « New Yorker ». Lors d’une réunion dans le bureau Ovale en 2018, Trump avait demandé pourquoi les Etats-Unis devaient accepter des immigrants de Haïti et d’autres « pays de merde ». Quant à Biden, il avait formellement déconseillé à Clinton, en 1994, d’intervenir en Haïti : « Chose horrible à dire – si Haïti s’enfonçait tranquillement dans les Caraïbes, ou s’élevait de 300 pieds, cela n’aurait pas beaucoup de conséquences pour nous. » Enfin, si la marque du parrain américain se faisait trop sentir, les gangs et le plus connu de leur chef, Jimmy Chérizier alias « Barbecue », un voyou qui se présente comme le Che Guevara de Haïti, auraient beau jeu de dénoncer l’ingérence impérialiste… En attendant, Haïti poursuit sa descente aux enfers.
Les gangs, qui opéraient dans les bidonvilles, ont étendu leur emprise à Port-au-Prince, qu’ils contrôlent à plus de 80 %.