L'Obs

La guerre contre les Mexicaines

- Amandine Schmitt

Chiennes de garde, par Dahlia de la Cerda, traduit de l’espagnol (Mexique) par

Lise Belperron, Ed. du Sous-Sol, 240 p., 21,50 euros.

●●●●●● Fille de narcotrafi­quant, fille de politicien, fille des rues… sans posture et sans pathos, comme elles se confieraie­nt à une amie, treize femmes racontent leurs histoires, parfois liées entre elles. Yuliana, propulsée à la tête de l’empire de son père, dispose du « bras armé le plus puissant du Mexique, [de] millions d’hectares de pavot et de marijuana », mais ne se remet pas de l’assassinat de sa meilleure amie Regina. Constanza change son image de « blondinett­e typique de l’élite mexicaine » − teinture « châtain foncé »,

lentilles « couleur café »,, « costumes de nos peuples premiers » − pour servir la candidatur­e de son mari à l’élection présidenti­elle, mais un chantage au « revenge porn » menace ses plans. La China, garde du corps pour le compte d’un cartel « ultrapuiss­ant »,

ne cille pas quand il s’agit d’abattre à bout portant, de dépecer un corps ou de suspendre des membres humains à un pont. Une sorcière star de Facebook (« 4,5 étoiles et un paquet de followers ») invoque le « Seigneur des ténèbres » pour se débarrasse­r de sa voisine et de ses chiens. Julia, prostituée transgenre atrocement mutilée et tuée par « quatre connards », se souvient de sa dernière nuit : « Quand mon corps a été retrouvé, personne ne m’a appelée Julia, comme si un bout de plastique avec une photo avait plus de valeur que toute une vie de transforma­tion. » Diplômée en philosophi­e et militante féministe, Dahlia de la Cerda (photo) a été ouvrière, serveuse ou vendeuse dans un marché aux puces avant de signer ce premier roman tissé de douleur, d’injustice et de sang. Son style fracassant rappelle celui de Virginie Despentes − même oralité, même crudité, même ironie désespérée. Elle campe avec justesse des héroïnes qui vivent intensémen­t, se débattent comme elles peuvent, car « la vie est une chienne, c’est pour ça qu’il faut ruer dans les brancards ». Rythme haletant, comme s’il fallait dire toute sa vérité avant que le machisme, immanquabl­ement, ne triomphe. La litanie tragique de la Huesera, dernier personnage du livre, inspiré du folklore local, est sans appel : « Le Mexique est un énorme monstre qui dévore les femmes. […] Des villes entières couvertes de croix roses. Des villes entières couvertes d’avis de disparitio­n de jeunes filles. Des déserts d’os. »

 ?? ??

Newspapers in French

Newspapers from France