L'Obs

Comme on fait son nid…

- PAR MARA GOYET, ESSAYISTE

Il est 15h35. Elle n’est toujours pas revenue. Elle est partie depuis plus de trois heures. Mais que fait-elle ? Hier, elle était là à 19h07, elle a passé la nuit je ne sais où, elle est revenue vers 11 heures ce matin. J’ai eu le temps de m’inquiéter. Beaucoup.

Je m’étais jadis promis de ne jamais céder à toutes ces entreprise­s de vidéosurve­illance ou de géolocalis­ation. Combien de parents mettent une caméra chez eux afin de vérifier que leurs enfants, en rentrant de l’école, font leurs devoirs et ne sniffent pas leur colle ? Je m’y suis toujours refusée. Parce que j’ai lu Orwell. Parce que j’ai trop usé du « de mon temps, on était libre, pas de portable, juste des cabines téléphoniq­ues, des tonnes de rendez-vous manqués, c’était merveilleu­x ». Parce que j’ai la flemme de surveiller les gens.

Avec mes enfants, je me contente sobrement de vérifier toutes les cinq minutes leur dernière connexion WhatsApp, Instagram, Messenger pour savoir s’ils sont en vie. Mais je m’aperçois qu’il y a un petit côté Big Mother en moi qui est frustré. C’est pourquoi je n’ai pas su résister en découvrant qu’on pouvait se connecter à un nichoir muni, entre ses petits murs en bois, d’une Birdcam. Dans la mesure où ce palace aviaire se situe dans mon collège, un peu à l’écart du tumulte adolescent, j’ai vu, là, une mission pédagogiqu­e.

Après avoir téléchargé une applicatio­n, on peut donc observer, grâce à la caméra, une mésange charbonniè­re en train de faire son nid. Petit à petit (l’expression est si juste). Que c’est bucolique la manière dont elle s’ébroue au milieu des brindilles et radicelles ! J’attends patiemment qu’elle ponde et nourrisse ses petits. La mésange vivant au collège, je suis à l’occasion atteinte de déformatio­n profession­nelle. Je trouve qu’elle glande, est souvent en retard, s’absente beaucoup. Comme je soupçonne une dysnidific­ation, je ne dois pas m’énerver. D’autant plus que je ne connais rien aux oiseaux ni à leur rythme. Je dois cesser de me vautrer dans l’anthropomo­rphisme. Je tente d’espacer les connexions mais une alerte, sur mon téléphone, prévient dès qu’il y a du mouvement. Je suis incapable de résister.

Quoi! Que vois-je? Non seulement elle construit son nid à deux à l’heure, mais en plus elle reçoit un type, là ! L’image est un peu floue car ça s’agite beaucoup mais je crois pouvoir dire qu’il ne s’agit pas d’une amie avec qui elle fait ses devoirs. J’ignore tout de la reproducti­on des oiseaux mais j’ai de nets soupçons.

Devrais-je être témoin de ce manège amoureux? J’ai des angoisses : si ça se trouve, elle aussi peut me voir quand je la regarde. Et puis, comme un collègue l’a fait remarquer, deux personnes filmées H24 dans un lieu clos, à proximité d’une mare (une piscine), cela rappelle les heures sombres de « Loft Story ». Même si l’on doit éviter de banaliser la reductio ad Loanam Jean-Edouardumq­ue, restons vigilants : l’observatio­n, oui ; le voyeurisme, non.

J’essaie, par conséquent, de limiter le nombre de visios avec la mésange (en même temps, pour une fois que ça marche dans l’Education nationale), de respecter son intimité. Ne comptez pas sur moi pour repérer les ravages de Mai-68, de la méthode globale et des écrans dans sa manière de faire son nid. Non, les mésanges, ce n’était pas mieux avant. On ne va pas non plus faire des nids de niveau…

Fort heureuseme­nt, les vacances se terminent bientôt. Vivement le travail pour que je puisse me déconnecte­r de la nature.

Je ne connais rien aux oiseaux ni à leur rythme. Je dois cesser de me vautrer dans l’anthropomo­rphisme.

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