QUAND LA RÉSISTANCE RÊVAIT D’EUROPE
La guerre n’est pas terminée que des résistants, imaginant une union fédérale, publient à Genève la “Déclaration des résistances européennes”
L’Union européenne seraitelle plus ancienne qu’on ne l’imagine ? Pour remonter à ses racines, il faut traverser la frontière, direction Genève, et s’introduire au domicile du pasteur néerlandais Willem Visser’t Hooft. Autour de sa table, ce 7 juillet 1944, sont présents des résistants de toutes nationalités : Italiens, Français, Danois, Néerlandais, Tchèques, Norvégiens, Yougoslaves… Et même quelques Allemands antinazis. Ces combattants commencent à se connaître. Ils se sont rencontrés clandestinement à quatre reprises (31 mars, 29 avril, 20 mai, 6 juillet), bravant les risques pour penser leur idéal : une Europe fédérale, sans exclure l’Allemagne.
Ils publient le 7 juillet la « Déclaration des résistances européennes », première pierre de la réconciliation post-Seconde Guerre mondiale, avant même sa fin. L’union fédérale imaginée est composée de trois organes : une armée pour une défense commune, un gouvernement supranational et un tribunal suprême.
Derrière cette déclaration se trouvent les Italiens antifascistes qui n’ont pas été brisés par les geôles mussoliniennes, Ernesto Rossi et Altiero Spinelli. Côté français, Jean-Marie Soutou a participé à quelques réunions comme représentant des Mouvements unis de la Résistance. Dans l’ombre, Henri Frenay, le cofondateur de Combat, mouvement de libération en zone sud, tire les ficelles. Il a rencontré Soutou à plusieurs reprises. Il pratique la clandestinité avec un tel zèle qu’il est impossible de savoir s’il a participé à une réunion genevoise en chair et en os.
Dans son organe de presse « Combat », créé en 1941, Frenay milite pour le fédéralisme européen. Dès 1942, il évoque les « Etats-Unis d’Europe ». Un an plus tard, il aborde cette « résistance européenne […] ciment des unions de demain ». En mars 1944, il clarifie : « J’adresse un appel à tous les hommes de la résistance européenne. Je les appelle à discuter ensemble ce que nous décidons ici. »
Ses idées le différencient du général de Gaulle. En 1939, les deux hommes sont militaires. Le capitaine Frenay, à 34 ans, appartient « sans le savoir, à cette droite française, traditionaliste, pauvre, patriote et paternaliste », écrit-il dans ses Mémoires. Il ne porte déjà pas le Général dans son coeur, il décrit le personnage, croisé dans les rangs de la Grande Muette en 1927, comme « hautain ». Sur l’appel du 18 juin 1940, Frenay, réfugié dans le Midi, persiste : « De Gaulle ? C’est au Café de France, sur la place des platanes, devant un verre de pastis que j’ai appris qu’il était à Londres et qu’il y restait. » Lui choisit de faire confiance au maréchal Pétain avant de changer d’avis en 1941. Sa compagne, Berty Albrecht, le tire depuis longtemps vers la gauche et ils fondent ensemble leur propre mouvement de résistance. Elle se suicidera en 1943 en prison pour ne pas parler sous la torture.
L’Europe cristallise les tensions entre les deux dirigeants. En novembre 1942, Frenay réclame à de Gaulle la création d’une maison – à Londres – et d’une médaille de la résistance européenne. En vain. Après la guerre, le premier deviendra président de l’Union européenne des Fédéralistes, tandis que le second freinera des quatre fers pour ne pas voir une Europe unie.
(1) « Henri Frenay. De la Résistance à l’Europe », par Robert Belot, Seuil, 2003.
(2) « La nuit finira. Mémoires de Résistance, 1940-1945 », par Henri Frenay, Robert Laffont, 1973.