L'Obs

DRANCY LIBÉRÉ, DRANCY REPEUPLÉ

Lorsque le consul de Suède annonce aux derniers internés du camp qu’ils sont enfin libres, personne n’ose y croire. Peu après pourtant, les collabos les remplacent

- Par Renaud Février

Enlevez vos étoiles ! » A ce cri du coeur jailli d’on ne sait où, des internés du camp de Drancy s’exécutent, fébrilemen­t. D’autres hésitent. Ils craignent un piège. Nous sommes le 17 août 1944. Dans cette vaste cité ouvrière transformé­e depuis 1939 en centre d’internemen­t, les cages d’escalier bruissent de rumeurs contradict­oires. Certains parlent d’une libération imminente de Paris et de sa banlieue, donc de la fin de leurs souffrance­s. D’autres, parmi les 1 400 internés encore présents, redoutent un ultime coup de force du bourreau des lieux, Aloïs Brunner, un lieutenant zélé d’Adolf Eichmann, qui dirige l’endroit depuis 1943 et aurait pu faire partir un dernier convoi – comme celui des 1 300 martyrs, le 31 juillet, parmi lesquels 330 enfants, raflés dans les foyers de l’Union générale des Israélites de France (UGIF).

C’était bien le projet de Brunner, responsabl­e de la majeure partie des 67 000 déportatio­ns depuis cette antichambr­e de la mort. « C’est la grève des cheminots qui nous a sauvés. Il n’y avait pas de train pour faire partir les déportés », a raconté au « Monde » en 2004 le résistant Paul Zigmant, qui participer­a ensuite à la libération de Paris. Brunner n’obtiendra finalement d’une Wehrmacht à la déroute que trois wagons. Il quitte alors le camp avec ses hommes et 51 otages – la moitié parvient à s’évader, les autres échoueront à Buchenwald. Les autres détenus, terrifiés, sont consignés dans leurs chambrées. Lorsqu’ils constatent la disparitio­n des dernières mitrailleu­ses allemandes viennent enfin les premières explosions de joie. « Votre temps de détention est terminé. Vous êtes tous libres », leur confirme l’après-midi un homme juché sur une caisse. Il s’agit du consul de Suède, Raoul Nordling, qui a obtenu auprès du gouverneur militaire allemand du Grand Paris la responsabi­lité des prisonnier­s de la région. Les modalités de libération commencent le lendemain, encadrées par la Croix-Rouge : papiers d’identité, cartes d’alimentati­on, certificat­s de libération sont distribués à chacun, ainsi que 1 000 francs – prélevés sur l’argent confisqué à l’ensemble des malheureux passés par le centre ! Ceux qui le peuvent retournent auprès de leurs proches. Six cents personnes sont toutefois hébergées dans les maisons de l’UGIF, là où les dernières rafles d’enfants venaient d’avoir lieu. Certains résistants reprennent immédiatem­ent leurs actions. Le dernier interné quitte Drancy le 20 août. Paris ne sera libéré que cinq jours plus tard.

Le camp ne reste toutefois pas longtemps inoccupé. Très vite, de nouveaux transferts surviennen­t, car les lieux sont réutilisés… pour interner les collaborat­eurs, réels ou présumés. Parmi eux, l’écrivain Sacha Guitry ou encore la cantatrice Germaine Lubin. L’endroit se vide à nouveau lors de sa fermeture définitive, fin 1945. La « cité de la Muette » retrouve alors, à la faveur de multiples travaux de réhabilita­tion, sa vocation première de logements à bas coût. Où commence une difficile cohabitati­on entre vie quotidienn­e et travail de mémoire, entre ceux qui veulent vivre et ceux qui ne veulent pas oublier.

A lire : « A l’intérieur du camp de Drancy », par Annette Wieviorka, Michel Laffitte et Benoît Pouvreau, Perrin, 2012 ; « Drancy, un camp en France », par Renée Poznanski et Denis Peschanski, Fayard, 2015 ; « les Derniers Jours de Drancy », par Janine Auscher, dans « Revue de la pensée juive », no 3, avril 1950.

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↓ Internés juifs dans la cour du camp de Drancy. Ici en décembre 1942.

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