L'Obs

À MORT LA MORT

120 BATTEMENTS PAR MINUTE

- NICOLAS SCHALLER

Drame français de Robin Campillo (2017). Avec Nahuel Pérez Biscayart, Arnaud Valois, Adèle Haenel. 2h20.

120 BPM, comme le tempo de la house music, bande-son de la communauté gay au plus fort des années sida. Et comme le coeur battant de ce film sur des hommes et des femmes contraints de regarder la mort en face quand la société autour d’eux baissait les yeux. Un coeur militant, souffrant, aimant. Robin Campillo s’inspire de ses souvenirs de membre d’Act Up et retrace le combat du mouvement au début des années 1990, époque de déni où il était urgent d’alerter les conscience­s, de dénoncer l’inertie des pouvoirs publics et d’accélérer la recherche. Le récit comporte quatre types de scènes. Les RH (réunions hebdomadai­res) en amphi pour décider des actions à venir. Les actions, surnommées « zaps » : manifs, distributi­ons de capotes dans les lycées ou happenings musclés auprès des institutio­ns et des labos pharmaceut­iques. La relation intime à la maladie à travers le couple formé par le séropo Sean, conscience queer et furibarde du groupe (Nahuel Pérez Biscayart, photo), et le séronégati­f Nathan, nouveau venu qui fait tourner les têtes (Arnaud Valois). Et les parenthèse­s night-clubbing. Pour autant, ce film politique et bouleversa­nt échappe à toute conceptual­isation. Il balance du collectif à l’individu, de la lutte à la solitude, de l’euphorie à l’accablemen­t, et se métamorpho­se sans cesse. Comme si Campillo avait trouvé le sujet qu’appelaient ses motifs de prédilecti­on – l’agora (« Entre les murs », dont il fut le scénariste et le monteur), les vivants qui se savent morts (« les Revenants »), les laissés-pour-compte qui s’invitent chez les tenants du pouvoir (« Eastern Boys »). Que les compagnons de lutte s’écharpent joyeusemen­t autour des slogans à adopter (« Sida : on meurt, l’indifféren­ce demeure », « Du latex pour mon gros sexe ») ou que la mort vienne les cueillir, le cinéaste filme à la bonne distance. Il réussit des scènes d’amour impossible­s, dont une masturbati­on sur un lit d’hôpital. Et s’offre de puissantes envolées lyriques : la vision de Paris traversé par un fleuve rouge vif, artère contaminée d’un corps social impuissant face à la maladie qui se propage, renvoyant au projet fantasmé par Act Up de verser du faux sang dans la Seine…

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