CINÉMA, CINÉMAS
LES ENSORCELÉS
Comédie dramatique de Vincente Minnelli (1952). Avec Kirk Douglas, Lana Turner, Walter Pidgeon. 1h50.
Un patron de studio convoque trois stars dans l’espoir de débloquer le budget d’un film en préparation. Problème : le projet est initié par Jonathan Shields (Kirk Douglas, photo), producteur de génie qui les a chacun portés aux nues, avant de les trahir. C’est en scrutant un oscar gagné par Shields que s’ouvre le récit en flashback des « Ensorcelés », reliant chacun des personnages à ce mentor ambigu. La prestigieuse récompense a valeur de madeleine de Proust (le bon vieux temps où le producteur était un allié vers le succès) mais symbolise aussi cette dose incompressible d’aigreur contenue dans la moindre interaction hollywoodienne et qui finit par emporter héros d’hier et candidats déchus à une gloire acquise à d’autres. C’est sur ce pas de deux que la mise en scène de Vincente Minnelli s’aligne : non seulement le récit alterne purs moments d’exaltation et grandes bouffées spleenétiques mais le film tout entier est ballotté par deux pulsions contraires, un espoir forcément carnassier qui affleure d’un projet à l’autre, et un fatalisme digne d’un roman noir, lame de fond qui affecte chacun et tout le monde. Le destin funeste du père de Jonathan Shields, ponte hollywoodien déchu et honni, dont le fils préserve la réputation par des obsèques faussement grandioses, tient moins lieu d’avertissement que de triste horizon pour ses héritiers. De quoi inciter Minnelli à poser un regard tendre et compatissant à l’égard de personnages, qu’il exonère sans exception. Hollywood est le seul responsable de ce bouillonnement d’affects, d’ambitions et de ressentiments, comparable ici à une tornade s’abattant sur la voiture de la pauvre Georgia Lorrison (Lana Turner, photo), actrice aimée à dessein puis délaissée. L’impeccable scénario de George Bradshaw et Charles Schnee multiplie les références directes aux grands mythes et petites histoires souterraines de l’industrie du cinéma. Dans le personnage de Kirk Douglas, on reconnaît la science de la débrouille de Val Lewton (producteur de « la Féline », ouvertement cité ici) et la mégalomanie de David O. Selznick dont le film le plus célèbre, « Autant en emporte le vent », inspire à Shields des séquences de grand projet décadent.