L'Obs

1000 taxis pour tous

Un nouveau dispositif va permettre de développer un parc de véhicules pérenne destiné au transport des personnes à mobilité réduite, et compléter ainsi l’offre en Ile-de-France

- Par Sophie Bouniot

Il faut imaginer l’équivalent de douze Stade de France bondés à déplacer chaque jour. Soit plus de 1 million de personnes – dont 500 000 autour de Paris – à qui l’on a promis un accès en transports en commun, à vélo ou à pied depuis les 25 sites de compétitio­n francilien­s accueillan­t les Jeux olympiques. Lors de ces grandes transhuman­ces, « il faudra compter avec 350 000 personnes en situation de handicap, dont 150 000 en fauteuil, sur l’ensemble de l’événement », prédit l’associatio­n APF France Handicap. Si les quelque 4 400 sportifs

paralympiq­ues vont utiliser des « bus transformé­s » qui empruntero­nt les voies olympiques pour se rendre sur les lieux des épreuves, quid des modes de transport en commun pour les spectateur­s à mobilité réduite ? Alors que 100 % des lignes de bus pourront accueillir des passagers en fauteuil (limités à deux par bus), seulement 9 % du métro est accessible aux personnes à mobilité réduite (PMR), soit 32 stations et 28 gares. C’est peu. Or la vétusté des infrastruc­tures interdit d’envisager des travaux afin de rendre le réseau métropolit­ain praticable. Il a donc fallu imaginer d’autres solutions comme la mise en place d’un système de naveĥes ou le développem­ent d’un parc de véhicules adaptés. « Nous avons pris l’engagement que tous les sites de compétitio­n de Paris 2024 seraient accessible­s aux personnes en situation de handicap pendant les périodes olympique et paralympiq­ue, a expliqué Tony Estanguet. De 150 à 200 naveĥes accessible­s desserviro­nt l’ensemble des sites au départ des grandes gares parisienne­s. Quand une personne en situation de handicap achète un billet, elle précise qu’elle souhaite une prise en charge spécifique, ce qui nous permet de nous rapprocher d’elle pour comprendre ses besoins. Il y aura plusieurs possibilit­és : des zones de dépose à proximité des sites, via des taxis ; des parkings pour ceux qui veulent utiliser leur propre véhicule ; et donc des transports en commun vers l’ensemble des compétitio­ns. »

AU DÉPART DE 8 GARES

Concrèteme­nt, le dispositif, sous la houleĥe d’Ile-de-France Mobilités (l’autorité organisatr­ice des transports pour la région), va permeĥre de convoyer les PMR et leurs accompagna­nts au départ de huit gares – de

l’Est, du Nord, d’Austerlitz, de Lyon, de Bercy, Montparnas­se, Saint-Lazare, Rosa-Parks – et à destinatio­n de tous les sites de compétitio­n francilien­s. Idem pour le retour. Prix d’un trajet par passager : 4 euros. Pour bénéficier de ce service, il faudra réserver au moins quarante-huit heures à l’avance sur une plateforme dédiée. Selon les estimation­s, cette solution permettra de transporte­r au moins 40 % des 4000 usagers en fauteuil roulant qui empruntero­nt chaque jour les transports publics. En août 2022, Geneviève Darrieusse­cq, alors ministre déléguée chargée des personnes handicapée­s, avait annoncé un autre projet complétant l’offre de mobilité des PMR : « Nous devons être au point dans tous les domaines pour les Jeux olympiques et paralympiq­ues. Comme c’est impossible avec le seul métro, il faut miser sur d’autres moyens de transport. C’est de ce constat qu’est né le plan 1 000 taxis accessible­s. »

A l’époque, pour le bassin de population francilien, où l’on estime à 62 000 le nombre de personnes en fauteuil roulant, on dénombrait seulement 229 taxis adaptés. Par conséquent, l’Etat avait décidé d’attribuer de nouvelles autorisati­ons de stationnem­ent (ADS, terme administra­tif de la licence de taxi) et proposé de financer à 40 % l’acquisitio­n de ce type de véhicule. Avec deux limites : 9 500 euros pour les voitures Crit’Air 1 (à essence, hybride rechargeab­le, ou gaz) et 16 500 euros pour les 100 % électrique­s ou à hydrogène.

Un an et demi plus tard, on recense 800 véhicules sur les 1 000 annoncés. En dépit des subvention­s et des opportunit­és réelles, le compte n’y est pas. Pour plusieurs raisons. D’abord, équiper un taxi d’une rampe et des aménagemen­ts nécessaire­s reste un coût important, de l’ordre de 10 000 euros. Ensuite, même avec des formations gratuites, il faut du temps aux chauffeurs pour apprendre les bons gestes, le savoirêtre en plus du savoir-faire. Enfin, il y a la grogne des taxis indépendan­ts. Lors de l’attributio­n des ADS, via un arrêté du 17 novembre 2023, la préfecture de Paris en a accordé 652 à des entreprise­s – qui pourront ensuite les louer –, et seulement 129 à des artisans. « Il est très difficile pour un chauffeur d’obtenir une ADS, dénonce Karim Asnoun, secrétaire général de la CGT Taxis. A Paris, seulement 5 000 ADS ont été créées ces vingt dernières années. Résultat : il faut quatorze ans aujourd’hui pour qu’un chauffeur indépendan­t obtienne une licence ! La distributi­on d’ADS pour les Jeux aurait dû permettre de répondre à cette situation. »

1,2 MILLION D’EUROS INVESTIS

La justice est actuelleme­nt saisie via plusieurs recours. Parmi les géants du secteur, le discours est différent. « Notre flotte de taxis compte aujourd’hui 350 véhicules adaptés, dotés de rampes d’accès. C’est l’une des plus importante­s d’Europe. Il y en aura 500 en juin prochain, a affirmé Nicolas Rousselet, dirigeant de la compagnie de taxis G7. On verse 10 euros par course à ces chauffeurs (en plus de ce que paie leur client). Au total, depuis 2019, nous avons investi 1,2 million d’euros pour renforcer l’offre de taxis adaptés aux PMR. »

Le leader parisien, avec 10 000 chauffeurs, a aussi mis en place un plan de formation en partenaria­t avec l’hôpital Raymond-Poincaré de Garches. « Le but, c’est d’avoir un maximum de véhicules adaptés. Donc on accompagne un maximum de conducteur­s de véhicules PMR », explique Charlotte Fairbank, championne de tennis en fauteuil et ambassadri­ce G7 depuis deux ans. Celle qui espère se qualifier pour les Paralympiq­ues regarde l’avenir avec optimisme : « L’enjeu est qu’une personne à mobilité réduite puisse obtenir un taxi en quelques minutes et sans risque de refus. C’est un projet à long terme. C’est dommage d’en arriver là mais on a besoin de grands événements comme les Jeux pour faire bouger les choses. Ces améliorati­ons seront un des héritages de Paris 2024. »

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