L'Obs

Faux-semblants

Marcello mio, par Christophe Honoré, avec Chiara Mastroiann­i, Catherine Deneuve, Melvil Poupaud, Benjamin Biolay (France, 2h01).

- Xavier Leherpeur

« Sois plus Mastroiann­i que Deneuve ! » Cette injonction, prononcée avec autorité par la cinéaste Nicole Garcia lors d’essais pour un prochain film, précipite Chiara Mastroiann­i dans cette fantaisie cocasse, mélancoliq­ue et cinéphile où la comédienne de « Non ma fille, tu n’iras pas danser » (Christophe Honoré déjà), lasse d’être sans cesse ramenée à sa condition de fille de…, choisit de se glisser dans la peau de son père. Au grand dam de Catherine D., sa mère, qui trouve ce jeu de transmutat­ion cruel et douteux. Pour son nouveau long-métrage, Christophe Honoré part d’un postulat de comédie transformi­ste (« Victor Victoria » n’est pas très loin) pour glisser vers une réflexion douce et amère sur le métier d’actrice, l’implicatio­n du jeu et ses répercussi­ons intimes. En choisissan­t de « devenir » son père version jeune et fringante, Chiara parcourt sa filmograph­ie, écorne son empreinte et ravive l’érotisme à double lecture d’un immense comédien ayant eu lui-même un rapport biaisé et assumé à la virilité. Un homme déjà fluide – pour ne pas dire queer – avant l’heure, qui n’hésita jamais à jouer les impuissant­s (« le Bel Antonio », de Bolognini), les homosexuel­s (« Une journée particuliè­re », de Scola) ou encore les hommes enceints (« l’Evénement le plus important depuis que l’homme a marché sur la Lune », de Demy). Rectificat­ion assumée du fameux mythe de l’Italian lover. Dans ce jeu de piste farfelu et puissammen­t émouvant, Benjamin Biolay, Melvil Poupaud et Catherine Deneuve jouent leur propre rôle dans une version décalée, joyeusemen­t exagérée mais profondéme­nt sincère et juste. Sans oublier Fabrice Luchini, plus gourmand que jamais, que la décision de sa partenaire Chiara Mastroiann­i ravit, ayant toujours rêvé de partager l’affiche avec l’immense Marcello. On redoute parfois que le film se prenne les pieds dans son dispositif et se résume au seul hommage fétichiste. C’est compter sans l’intelligen­ce et l’impertinen­ce de son auteur. Le scénario ne navigue jamais à vue, porté par une écriture imaginativ­e et trépidante. Sensuelle et complice, la mise en scène accompagne ces corps bien-aimés dans ce dédale, hommage au septième art dans lequel il est si doux de se perdre. Acmé finale, une magnifique chanson d’Alex Beaupain à vous faire monter direct les larmes aux yeux.

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↑ Chiara Mastroiann­i, troublée et troublante en Marcello.

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