PACTE FAUSTIEN
LA MAIN DU DIABLE
Film fantastique français de Maurice Tourneur (1943). Avec Pierre Fresnay, Josseline Gaël, Noël Roquevert. 1h15.
Qui, en 1943, avait envie de voir sur un écran de cinéma les Champs-Elysées décorés de croix gammées, Paris traversée par les troupes allemandes, sans parler des sinistres exactions de la Gestapo ? Pour dissimuler cette réalité honteuse, le cinéma français se tourna vers le merveilleux et les récits légendaires tels « les Visiteurs du soir », de Marcel Carné. « La Main du diable », réalisé par Maurice Tourneur (père de Jacques, le metteur en scène de « la Féline »), est un film sulfureux à bien des égards puisque produit par la Continental, compagnie franco-allemande créée par Goebbels, à qui l’on doit « le Corbeau », de Clouzot. Très « germanique » dans son scénario, il emprunte à l’expressionnisme ses ombres torturées et le thème faustien du pacte avec le diable. Pierre Fresnay (photo, avec Noël Roquevert) interprète un peintre médiocre qui fait l’acquisition pour quelques francs d’une main magique qui le transforme en artiste génial et réputé. En échange, c’est évidemment son âme qui est damnée à moins que le peintre ne la rachète. Mais le taux d’usure, au départ d’un sou par jour, est exponentiel, et au bout d’un an la main vaut plusieurs millions de francs. Malgré la pauvreté qui touche alors la France et son industrie cinématographique, Maurice Tourneur tourne un superbe film fantastique. Il faut voir l’apparition de la main coupée, ridée et griffue, animée d’une vie surnaturelle, l’exposition, où se presse une foule de mondains décadents, et ses monumentales peintures sataniques, ou encore le défilé des spectres des anciens possesseurs du talisman. Mais le film raconte une autre histoire car cette main du diable est aussi celle tendue à l’occupant allemand et le pacte maudit, celui de la collaboration. Pour les artistes, écrivains, cinéastes et acteurs qui, par conviction ou arrivisme, ont accueilli à bras ouverts l’occupant, le prix à payer sera celui de la damnation. Au coeur de la plus collaborationniste des sociétés de production, Maurice Tourneur est parvenu à tourner un film critique et subversif.