L'Obs

PACTE FAUSTIEN

LA MAIN DU DIABLE

- STÉPHANE DU MESNILDOT

Film fantastiqu­e français de Maurice Tourneur (1943). Avec Pierre Fresnay, Josseline Gaël, Noël Roquevert. 1h15.

Qui, en 1943, avait envie de voir sur un écran de cinéma les Champs-Elysées décorés de croix gammées, Paris traversée par les troupes allemandes, sans parler des sinistres exactions de la Gestapo ? Pour dissimuler cette réalité honteuse, le cinéma français se tourna vers le merveilleu­x et les récits légendaire­s tels « les Visiteurs du soir », de Marcel Carné. « La Main du diable », réalisé par Maurice Tourneur (père de Jacques, le metteur en scène de « la Féline »), est un film sulfureux à bien des égards puisque produit par la Continenta­l, compagnie franco-allemande créée par Goebbels, à qui l’on doit « le Corbeau », de Clouzot. Très « germanique » dans son scénario, il emprunte à l’expression­nisme ses ombres torturées et le thème faustien du pacte avec le diable. Pierre Fresnay (photo, avec Noël Roquevert) interprète un peintre médiocre qui fait l’acquisitio­n pour quelques francs d’une main magique qui le transforme en artiste génial et réputé. En échange, c’est évidemment son âme qui est damnée à moins que le peintre ne la rachète. Mais le taux d’usure, au départ d’un sou par jour, est exponentie­l, et au bout d’un an la main vaut plusieurs millions de francs. Malgré la pauvreté qui touche alors la France et son industrie cinématogr­aphique, Maurice Tourneur tourne un superbe film fantastiqu­e. Il faut voir l’apparition de la main coupée, ridée et griffue, animée d’une vie surnaturel­le, l’exposition, où se presse une foule de mondains décadents, et ses monumental­es peintures sataniques, ou encore le défilé des spectres des anciens possesseur­s du talisman. Mais le film raconte une autre histoire car cette main du diable est aussi celle tendue à l’occupant allemand et le pacte maudit, celui de la collaborat­ion. Pour les artistes, écrivains, cinéastes et acteurs qui, par conviction ou arrivisme, ont accueilli à bras ouverts l’occupant, le prix à payer sera celui de la damnation. Au coeur de la plus collaborat­ionniste des sociétés de production, Maurice Tourneur est parvenu à tourner un film critique et subversif.

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