L'Obs

AU NOM DE SA LOI

INSPECTEUR LAVARDIN

- GUILLAUME LOISON

Film policier de Claude Chabrol (1986). Avec Jean Poiret, Bernadette Lafont, Jean-Claude Brialy. 1h40.

Après le succès de « Poulet au vinaigre » qui relança sa carrière un an plus tôt et marqua le début de sa collaborat­ion fertile avec le producteur Marin Karmitz (12 films jusqu’en 2003), Claude Chabrol engage de nouveau son filou de flic campé par Jean Poiret (photo, avec Bernadette Lafont) pour une seconde mission dans les eaux troubles de la haute bourgeoisi­e de province. Dès l’ouverture – une scène de repas, bien sûr –, le cinéaste pose le ton d’une comédie de moeurs où la perfidie se niche dans les détails. Raoul Mons (Jacques Dacqmine), maire dévot et friqué d’une bourgade bretonne, préside la table face à sa femme, sa fille et son beau-frère. Avant même que l’intrigue soit lancée (la mort du maître de maison, retrouvé nu au bord de la mer, survient deux plans plus loin), la dispositio­n des convives suggère une harmonie de façade et des alliances vénéneuses – le beau-frère (phénoménal Brialy), qui assume avec obscénité ses manières de pique-assiette, chaperonne sa nièce avec une langueur suspecte. Débarque Lavardin, aussi débonnaire que le Maigret de Simenon, qui pousse le furetage jusqu’à s’installer dans la demeure du mort, dont il a bien connu la veuve (qu’il a aimée) et le frangin dans une vie antérieure où il n’était pas flic. Claude Chabrol trouve là un idéal d’alter ego : Lavardin est aussi bon détective que redresseur de torts, dans ce marigot bourgeois – c’est une sorte de terroriste dans le système, avec l’oeil qui frise, un goût pour la bonne chère et un sens de l’impunité si développé qu’il en devient inquiétant. La grandeur du film tient dans son subtil jeu de masques : par les saillies punk de Poiret-Lavardin, le cinéaste menace tout du long le cours tranquille des fictions policières télévisées des années 1980 dont il reprend la dramaturgi­e et l’esthétique, mais purge aussi son propre univers de son éternel désespoir flaubertie­n. S’il demeure ici ou là quelques personnage­s damnés par leur engeance sociale (le monstrueux Raoul Mons en tête), « Inspecteur Lavardin » fourmille de petits parasites hilarants, d’imposteurs joyeux jouissant du luxe et de l’influence de ces notables qu’ils tondent comme des moutons.

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