Dessiner par accès
Diogo Pimentão
Diogo Pimentão (né à Lisbonne en 1973, vit et travaille à Londres) apporte une dimension nouvelle au dessin, par son support et son processus direct. Pliées, tracées, sculptées, ses oeuvres empreintes du corps et de son échelle deviennent sculpturales, musicales ou chorégraphiques. Ici, c'est avec une véritable exposition sur papier d'oeuvres réalisées pour L’Ofciel Art qu'il repense le format du dessin et son conditionnement. Julie Pellegrin, directrice de La Ferme du Buisson, nous guide à travers cette exposition.
DIOGO PIMENTãO INSIGHT, 2015 PAPIERS DéCOUPéS, DIMENSIONS VARIABLES. PHOTOS FRANCIS WARE, COURTESY : ARTIST COLLECTION.
Pour Diogo Pimentão tout est afaire de dessin, qu’il soit mis en volume, en mouvement ou en son. Si sa pratique ne se résume pas au dessin, ce dernier en constitue un véritable paradigme. Dessiner, c’est travailler sans maquette, sans projet, “avancer sans protection”. La nature fragile et transitoire des oeuvres ainsi que l’emploi de techniques rudimentaires vont de pair avec une relation fondamentalement curieuse et expérimentale au monde, lointain écho d’activités enfantines où l’improvisation le dispute à la précision.
L’artiste s’attache à ouvrir l’horizon du dessin et de ses conventions à d’autres dimensions, d’autres procédés, d’autres outils. L’acte de dessiner implique chez lui un rapport quasi chorégraphique au corps qui détermine l’échelle de l’oeuvre – des papiers machinalement pliés dans les mains aux grands monochromes noirs composés de lignes tracées par le corps en marche. La feuille n’apparaît plus comme une surface plate mais comme un plan souple, pliable, étirable, praticable.
Le dessin devient lui-même instrument à part entière : il vise à s’approprier un espace, celui du papier, de l’exposition, du flm. Le trajet du crayon sur la feuille permet d’en appréhender l’étendue, la texture et la résistance, de même que la marche ou le mouvement du corps – dessins dans l’espace – servent à explorer un cadre donné. Répétitifs, les gestes de Pimentão répondent à une sorte d’automatisme, rigoureux mais dépourvu d’intention : tracer, couper, enrouler, disperser… Le dessin n’est pas directement produit par une décision, il est démonstration littérale d’un processus.../...
il cohabite avec les outils qui ont servi à le réaliser mais aussi les restes qu’il a produits (morceaux ou dépôts de graphite, scotchs barrés de lignes colorées, fantômes de papiers découpés…). Dans les vidéos comme ailleurs, le résultat est exposé en même temps que l’expérience de sa création : l’oeuvre intègre son making of, la forme se fait et se défait en permanence, le corps imprime sa marque, le dessin devient action, langage, musique…
Expérimentation, automatisme et savoir intuitif sont mis en relation pour opposer des possibilités d’émancipation aux réfexes aliénés.
Indétermination fondamentale entre la fguration et l’abstraction, l’intention et l’improvisation, le son et la vision et, au sein même de la vision, la mobilité et la visibilité. Elle oscille d’une tentative de représentation à la mise à jour d’un processus entropique où l’informe prédomine, où la disparition succède à l’apparition. “L’image est faite” si l’on considère à l’instar de Samuel Beckett que faire l’image, c’est construire une représentation puis la faire disparaître puisque la scène reste vide.