Bénin : Fondation Zinsou
Au Bénin, rencontre avec Marie-Cécile Zinsou
En 2005, la famille Zinsou crée au Bénin une Fondation éponyme et ouvre un premier espace d’exposition à Cotonou. Forte de son succès – plus de 4 millions de visiteurs pendant ses huit premières années d’existence – la Fondation Zinsou inaugure un musée en 2013, à Ouidah, à une quarantaine de kilomètres de la capitale, pour exposer sa collection d’oeuvres d’artistes locaux et internationaux tels que Cyprien Tojkoudagba, Samuell Fosso, Malick Sidibé, Seydou Keïta, Kifouli Dossou ou encore Chéri Samba. A l’occasion des 10 ans de la fondation, L’Officiel Art a rencontré Marie-Cécile Zinsou, sa présidente.
Page de droite, vue extérieure du Musée à Ouidah.
L’OFFICIEL ART : Marie-Cécile Zinsou, votre famille est liée à l'histoire du Bénin depuis plusieurs générations : Emile-Derlin Zinsou, votre grand-oncle fut l'un des premiers présidents du Dahomey indépendant (qui prit en 1975 le nom de Bénin), vous êtes également parente du Cardinal Gantin, pressenti pour être le premier pape africain, et enfin en juin dernier, votre père, Lionel Zinsou, a été nommé Premier Ministre du Bénin. Vous avez grandi et étudié en France puis, en 2003, à l'âge de vingt ans, vous avez décidé de vous établir au Bénin, pour enseigner dans un orphelinat. MARIE-CÉCILE ZINSOU : Il s'agissait d'une année de césure. Je voulais me confronter à une expérience professionnelle, l'enseignement. On m'a proposé un poste de professeur d'anglais dans une école d'art à Abomey-Calavi, à quinze kilomètres de la capitale économique, Cotonou. Puis, assez rapidement, on m'a également confié la création d'un cours d'histoire de l'art – formation que j'avais entreprise en France – un sujet qui passionnait les élèves.
En quoi cette expérience vous a t-elle incitée à la création une fondation ?
Je souhaitais offrir à mes élèves l'opportunité d'accéder à la création de l'ensemble du continent, et leur ouvrir une lucarne vers l'art contemporain. En 2004, j'ai fait la rencontre décisive de Germain Viatte, directeur du futur musée du Quai Branly. Il m'a encouragée à ouvrir un espace et à exposer le travail des artistes. Je n'avais ni l'âge, ni la légitimité, ni les moyens matériels, mais la très vive motivation d'y parvenir. Avec le soutien moral et financier de ma famille, la fondation a été inaugurée quelques mois plus tard, avec une exposition personnelle de Romuald Hazoumé. Peu à peu, nous avons – dans les ventes aux enchères, en galerie ou auprès des artistes – acquis des oeuvres autour desquelles nous projetions d'organiser des expositions.
La fondation a très tôt entrepris une politique de commande auprès des artistes.
En effet, une grande partie de la collection est issue de ces commandes. En 2006, “Dahomey, Rois et Dieux” de Cyprien Tokoudagba fut la première exposition dont toutes les oeuvres avaient été acquises par la fondation. L'histoire du Royaume du Dahomey était largement inconnue de notre jeune public alors qu'il s'agissait d'un des royaumes les plus importants d'Afrique, et probablement l'un des plus structurés du monde aux XVIIIe et XIXe siècle. L'histoire de ce royaume a été écrite de deux manières. D'abord via les chansons versifiées (les Kpanligan), colportées chaque année lors des grandes cérémonies de coutumes royales (les Xwetanu). L'histoire du royaume était ainsi chantée depuis ses origines, suivant un ordre strictement codifié. La sanction instaurée à l'égard d'un chanteur défaillant était la décapitation... Aucune n'a été à déplorer durant quatre siècles, alors que la longueur des poèmes s'amplifiait davantage chaque année. En plus de cette transmission orale, l'histoire était racontée sur des bas-reliefs issus des grandes commandes royales. Une tradition apparue à Abomey il y a quatre siècles avec les emblèmes des rois qui ornent les façades de tous les palais royaux, et dont les moulages ont été longtemps exposés au Musée de l'Homme. Cyprien Tokoudagba est l'héritier de cette tradition. Il était initié au vaudou, et il avait le “pouvoir” de restaurer les bas-reliefs des rois mais aussi ceux des dieux. Il a donc transféré ces symboles sur la toile et a permis de faire perdurer cette tradition.
Quelle est aujourd'hui la composition de la collection de la Fondation ?
Nous possédons un millier d'oeuvres issues d'une quarantaine d'artiste. Au musée de Ouidah, quatorze d'entre eux sont actuellement présentés, le nombre varie, bien entendu, au gré des accrochages. Nous avons souhaité créer de grands ensembles, ainsi, nous possédons une centaine d'oeuvres de Cyprien Tokoudagba, 80 oeuvres de Romuald Hazoumé, des masques guélédés contemporains de Kifouli Dossou… Le galeriste Enrico Navarra, qui a consenti le prêt
d'une quarantaine d'oeuvres de Basquiat pour l'exposition que nous avons organisée en 2007, m'avait conseillé de constituer du stock. Nous avons ainsi acquis des oeuvres régulièrement afin qu'elles ne rejoignent pas les circuits marchands en Europe, aux Etats Unis ou en Asie et demeurent sur le continent africain, accessibles aux visiteurs.
La constitution d'un fonds est au rang de vos préoccupations.
Absolument. Pourquoi ne pas consacrer un musée à Cyprien Tokoudagba, tout comme à Frédéric Bruly Bouabré à Abidjan ? En attendant que les gouvernement prennent conscience de la valeur de l'art et de la culture, nous faisons ce que nous estimons être notre devoir citoyen.
Comment la collection est-elle financée et soutenue ?
Elle est financée par ma famille : nous sommes cinq à être impliqués dans le choix des oeuvres et des projets à soutenir. La collection nous appartient et nous la prêtons à la Fondation. Ce modèle un peu particulier est lié à l'instabilité politique. Ma famille ayant connu l'exil par le passé – sous la présidence de Mathieu Kérékou – nous nous devons d'être prudents car la fondation ne dispose pas de bâtiment définitif et de moyens propres. Dans le futur, une partie de la collection sera mise à disposition de l'Etat, le jour où nos gouvernants auront créé de véritables musées.
En quoi consiste le programme de résidences que vous avez récemment créé. Il démarre en septembre à Cotonou et à Ouidah. Notre souhait est d'offrir un espace de création pour les artistes, et c'est à eux de déterminer ce qu'ils voudront créer. Les projets qui nous sont envoyés sont tous uniques, nous essayons donc d‘établir un programme sur mesure. Nous allons prochainement recevoir Jeremy Demester puis la photographe Cristina de Middel, qui a exposé son projet Les Afronautes à LagosPhoto.
En quoi consiste l'ensemble de “mini-bibliothèques” que vous avez créées ?
Au départ, notre souhait était de constituer des “mini-musées”. Nous voulions présenter les oeuvres de la collection dans plusieurs endroits de la ville. Alors que nous cherchions des espaces, les associations de quartier nous ont demandé des livres, car il n'y a quasiment pas de bibliothèques ici. Nous avons donc créé les bibliothèques, équipées en livres et en personnel qualifié. Ces structures gratuites sont parfois liées à des écoles mais nous ne cherchons pas à renforcer le système scolaire. Notre objectif est que les enfants découvrent la lecture, pour eux, et en fassent un outil d'éducation personnelle. Ce qui m'intéresse, c'est que les enfants découvrent une pensée libre, qu'ils prennent conscience du formatage de la pensée, dans un pays où l'éducation n'est pas de très bon niveau et reste encore peu accessible, pour pouvoir y échapper et forger leur propre réflexion.
Quel constat faites-vous concernant la visibilité et la place de l'art en Afrique ?
La culture est encore un luxe en Afrique, alors qu'elle devrait être un droit ! Les gouvernements évitent le sujet. Il y a une sorte de cynisme ambiant en Afrique, qui est choquant quand cela concerne la disparition du patrimoine. Nos gouvernants n'ont toujours pas pris conscience qu'ils sont là pour préserver le patrimoine.
Quels sont les lieux d'expositions, résidences, initiatives qui agissent en tant que relais de votre action sur le continent africain ?
Il y a de nombreuses initiatives à différentes échelles, propres à créer une dynamique d'ensemble sur le continent. Il y a Bisi Silva à Lagos. Ses résidences curatoriales sont très importantes dans un pays, le Nigéria, qui est la plus grande puissance d'Afrique, a connu une croissance très rapide, et produit des richesses inouïes et des violences extrêmes. Aujourd'hui, des collections privées y apparaissent, des maisons de ventes aux enchères y voient le jour, des galeries s'implantent… Dans dix ans, le Nigéria disposera certainement de centaines de lieux dédiés à la culture et à la création. Il y a aussi l'équipe de LagosPhoto qui produit un événement régulier, avec des photographes du monde entier. Nous agissons comme un relais de cet événement en exposant une partie de leur programmation. Je pense aussi au centre chorégraphique La Thermitière au Burkina, à Doul'Art au Cameroun, à la galerie Cécile Fakhoury à Abidjan, à Raw Material Company à Dakar, et de nombreux autres exemples mais je ne cite que des initiatives pérennes, car toute la difficulté est de se maintenir dans le temps ! En outre, je suis très intéressée par le musée d'Afrique du Sud qui doit ouvrir en 2016 au Cap, le Zeitz Mocaa, un lieu d'exposition de 16 000 m2, destiné à être l'un des musées les plus importants du continent. J'ai également hâte de voir le musée d'art contemporain de Pointe Noire, commissionné par Denis Sassou-Nguesso, président du Congo.
Quels sont les soutiens qui permettent à votre action en faveur de l'art contemporain africain de rayonner au plan international ?
Le travail du Harlem Studio Museum, de la Fondation Cartier et de la Tate nous est très précieux. Les commissaires de la Tate notamment sillonnent le continent à longueur d'année. Ils ne viennent pas ici sur un mode ethnographique mais pour comprendre la création locale. Le musée rémunère les artistes quand il acquiert leurs oeuvres, il ne considère pas qu'exposer en Europe est une chance pour des artistes africains, ce qui justifierait de les sous-payer. A mon sens, il est essentiel d'être très attentif à éviter l'amalgame entre art africain et cause humanitaire. Il faut être très vigilant quant à la façon dont l'Afrique est perçue à l'étranger et éviter l'écueil, assez français, que je nomme “salle des fêtes” : montrer l'Afrique comme un amuseur public. Ce qui était la norme à l'Exposition Universelle de Chicago en 1893 ou encore celle de Paris, 1937 ne l'est plus aujourd'hui.