Une sanction originale
“Réputer une clause non écrite, ce n’est pas l’annuler”
Apparue dans le droit français il y a quelques décennies à peine, le réputé non-écrit a fait florès. Les rédacteurs du Code civil l’ignoraient totalement en 1804. Désormais, cette sanction est partout. En droit de la consommation bien sûr, lequel déclare les clauses abusives non écrites (C. cons., art. L. 241-1). Mais aussi en droit commun des contrats.
Depuis l’entrée en vigueur de la fameuse ordonnance du 10 février 2016, l’article 1171 du Code civil dispose ainsi que “dans un contrat d’adhésion, toute clause non négociable, déterminée à l’avance par l’une des parties, qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite.” Destinée à sanctionner une clause, cette sanction est plus fine, plus chirurgicale disons, qu’une nullité. Elle ne compromet pas en effet tout le contrat. Surtout, elle obéit à un régime juridique dont il serait très dangereux d’ignorer les spécificités. Un arrêt récent l’illustre à merveille. Rendu le 13 mars 2019 par la première chambre civile de la Cour de cassation, il pose de manière très claire que la demande tendant à voir réputer non écrite telle ou telle clause ne s’analyse pas en une demande en nullité, de sorte qu’elle n’est pas soumise à la prescription quinquennale (Civ. 1, 13 mars 2019, n° 17-23.169). Et oui : réputer une clause non écrite, ce n’est pas l’annuler ! Le vice qui infeste la clause est peut-être pire qu’une cause de nullité : il impose de se mettre des oeillères, de faire fi de l’existence même de la clause. Les conséquences sont très importantes. Sur l’absence de prescription, nous venons de le voir. La règle dont la violation est sanctionnée planera éternellement sur les contrats liant les parties. Mais il faut aller plus loin.
Clause d'arbitrage
Prenez les clauses d’arbitrage par exemple. Voilà des années qu’elles paralysent le droit d’accéder à un tribunal pour les parties faibles qui, contraintes de souscrire aux clauses compromissoire stipulées dans les contrats d’adhésion qui leur sont proposés, ne peuvent évidemment se payer le luxe d’un arbitrage en cas de malheur. Le principe compétence-compétence leur interdit en effet de saisir un juge étatique afin de contester la validité ou l’application de ces clauses d’arbitrage. Une seule exception pour l’instant : lorsqu’un litige relevant d’une convention d’arbitrage est porté devant une juridiction de l’État, celle-ci se déclare incompétente sauf si le tribunal arbitral n’est pas encore saisi et si la convention d’arbitrage est manifestement nulle ou manifestement inapplicable (C. proc. civ., art. 1448). Une telle restriction au droit fondamental d’agir en justice ne peut toutefois plus être toléré. Concrètement, il aboutit à priver la partie impécunieuse du droit d’exiger l’exécution de ses obligations par son co-contractant. Où l’on songe alors à l’article 1170 du Code civil, introduit par la réforme du droit des contrats de 2016. Et pour cause : ce texte dispose que “toute clause qui prive de sa substance l’obligation essentielle du débiteur est réputée non écrite”. Il pourrait dès lors être soutenu qu’une clause d’arbitrage, si elle prive de sa substance l’obligation essentielle d’un franchiseur ou d’un concédant, est réputée non écrite. De telle manière que le principe compétence-compétence ne pourrait être utilement opposé au franchisé ou au concessionnaire ! La clause ne serait ni manifestement nulle, ni manifestement inapplicable mais pire encore : réputée non écrite ! Le juge étatique saisi devrait faire comme s’il ne l’avait même pas sous les yeux. Gageons que la sanction du réputé non-écrit n’a pas encore livré tous ses secrets…