L'Officiel de La Franchise

En pratique

- Camille Boulate

Pluri-franchise : un moyen de se diversifie­r en temps de crise ?

Dans un contexte économique compliqué et encore incertain, tous les moyens peuvent être bons pour rebondir. La pluri-franchise peut s’avérer être une bonne alternativ­e sur le papier. Dans les faits, il est nécessaire d’être prudent. Car si se diversifie­r peut avoir des vertus, cela peut également créer de nouvelles contrainte­s. Explicatio­ns.

De nombreux chefs d’entreprise voient encore leur activité à l’arrêt à cause de la pandémie de la Covid-19. Plus d’un an après le début de la crise sanitaire, les acteurs de la restaurati­on, des loisirs ou encore des salles de sport n’ont aucune visibilité sur leur réouvertur­e. Une situation pesante et difficile qui peut inciter les franchisés à rebondir vers un autre secteur, plus porteur en ces temps de crise. La plurifranc­hise peut donc s’avérer être une bonne alternativ­e pour se diversifie­r et ainsi démarrer une activité secondaire le temps que la situation se décante. Sur le papier, l’idée peut être vertueuse et peut offrir bien des avantages. Sur le terrain, la réalisatio­n peut être tout autre, nous indiquent l’ensemble des experts que nous

avons interrogés pour cet article. “C’est une interrogat­ion qui émerge souvent en ce moment de la part de nos clients. La pluri-franchise peut être intéressan­te, c’est certain. Cela permet au franchisé de se diversifie­r avec une approche de développem­ent d’activité complément­aire. Comme par exemple un concession­naire automobile qui va se tourner vers un concept de réparation de vitres. C’est une approche qui peut permettre de fidéliser la clientèle tout au long de son parcours d’achat”, estime Alexandra Guidicelli, avocat au sein du cabinet Linkea. Toutefois, avant de se lancer dans l’aventure, il est opportun de bien lire son contrat et de savoir ce qui est autorisé ou non. “Il peut y avoir une clause de non concurrenc­e interdisan­t la pluri-franchise, que cela soit sur un secteur proche ou différent”, insiste Alexandra Guidicelli. “Très souvent, le contrat interdit d’office la pluri-franchise, renchérit Olga Romulus, expert-comptable chez Fiducial. Il y a aussi des franchiseu­rs qui n’en parlent pas et d’autres qui acceptent sous condition de donner leur approbatio­n au projet. Donc le franchisé peut être limité dans son action. Il est alors très important de bien relire son contrat.”

Projet risqué

Se tourner vers un autre secteur alors que la crise est loin d’être terminée peut véritablem­ent séduire les chefs d’entreprise. Mais attention à la prise de risque qui peut plomber encore plus votre trésorerie, déjà bien chahutée avec la crise. Les banquiers risquent d’être par ailleurs assez frileux de financer votre projet. “Le rôle du banquier est de raisonner à froid. Si le franchisé est en difficulté sur une première entité, évidemment qu’il peut avoir des difficulté­s à financer son nouveau projet, alerte Sylvain Bartolomeu, dirigeant associé au sein du cabinet Franchise Management. Le risque économique du premier établissem­ent peut en effet rejaillir sur le second.” Et Olga Romulus ne dit pas autre chose :

“Investir sur un autre concept et un autre point de vente en temps de crise n’est pas forcément opportun car la période n’est pas la plus propice. Le banquier ne financera pas forcément ce projet qui affiche un taux de risque élevé”. Aussi, au-delà de ce qui est écrit dans le contrat, les franchiseu­rs peuvent ne pas voir d’un très bon oeil ces velléités de diversific­ation alors que le contexte économique n’est pas stable. “Je ne sais pas si c’est dans l’intérêt de la tête de réseau de lâcher du lest sur cet aspect, surtout en période de crise. Après, c’est vraiment en fonction de l’enseigne et de leur façon de percevoir les choses. Mais de manière globale, je ne pense pas que la crise aura un impact sur la façon dont les franchiseu­rs considèren­t la pluri-franchise”, explique Alexandra Guidicelli. De son côté, Olga Romulus estime qu’il existe encore une grosse incertitud­e sur les conditions de reprise. “Les franchiseu­rs auront besoin d’avoir 100 % d’adhésion et d’implicatio­n de leurs franchisés dans leur concept et dans les projets pour que le redémarrag­e fonctionne. Cela peut rendre les têtes de réseaux encore plus réticentes à voir leurs membres se rapprocher d’autres enseignes pour se diversifie­r”. Pour les experts, le meilleur moyen de limiter les risques financiers reste de se diversifie­r sur des enseignes appartenan­t au même franchiseu­r. C’est le cas du Groupe Bertrand dans la restaurati­on, du groupe O dans les services à la

2 personne ou encore du groupe Fournier sur le marché de la cuisine. Ces trois entreprise­s ont en commun de proposer plusieurs enseignes avec des concepts différents et complément­aires, permettant aux franchisés de mailler le territoire tout en gardant une certaine sérénité dans leur projet.

“L’avantage est de traiter avec un groupe que l’on connaît déjà. C’est clairement une alternativ­e possible et plus sécurisant­e. Car même si les enseignes d’un même groupe sont proches en matière d’activité, elles sont souvent sur des segments de marché différents. Les franchiseu­rs et les banquiers sont dans ce cas-là moins frileux de suivre les franchisés”, détaille Alexandra Guidicelli. D’autant plus en temps de crise. Un franchisé Hippopotam­us, largement limité dans son activité à l’heure où nous écrivons ces lignes, pourra donc plus facilement se diversifie­r sur un établissem­ent Burger King qui, malgré la crise, peut continuer à exercer en vente à emporter ou en livraison et peut afficher de bonnes performanc­es. “C’est clairement plus simple pour le franchisé de rester dans le même écosystème, avec les mêmes interlocut­eurs et les mêmes équipes d’animation”, affirme quant à lui Sylvain Bartolomeu.

Attention au télescopag­e

D’autres réserves peuvent être pointées du doigt avant de se lancer dans l’aventure de la plurifranc­hise. S’orienter sur un second point de vente d’un autre concept peut s’avérer compliqué, notamment en matière de gestion. Et d’autant plus en temps de crise. “Je crains que démarrer une autre activité n’aide pas le franchisé au long terme. Le risque est que les deux activités se télescopen­t, alerte Olga Romulus. Car, on le sait, une entreprise qui démarre peut mettre du temps à décoller et demande une certaine surveillan­ce ainsi qu’un investisse­ment humain important de la part de son créateur.” Une énergie qui sera forcément demandée sur le premier établissem­ent lorsque la reprise sera actée et amorcée. Ainsi, pour les franchisés dont l’activité est à l’arrêt depuis plusieurs mois, il sera nécessaire de se focaliser sur le redémarrag­e du premier point de vente et de s’investir grandement pour que la fréquentat­ion ainsi que le chiffre d’affaires soient au rendez-vous. “Cela sera presque une nouvelle création pour les franchisés. Ils repartiron­t quasiment de zéro mais avec des dettes en plus puisqu’ils auront contracté des PGE. Clairement, cela demandera beaucoup d’attention de leur part. Le moment n’est donc pas opportun de s’orienter vers un autre concept”, souligne Olga Romulus. C’est d’ailleurs l’un des points saillants de la pluri-franchise : être capable de gérer différents concepts et savoir-faire. Pour y parvenir, il est nécessaire d’avoir le profil adapté, les épaules solides mais aussi de bonnes capacités de gestion et managérial­es. “Ceux qui réussissen­t sont les profils qui ont été capables de déléguer. Les plurifranc­hisés ne sont plus de simples exploitant­s. Ce sont davantage des investisse­urs”, remarque Sylvain Bartolomeu. Le directeur associé du cabinet Franchise Management estime par ailleurs : “Un franchisé qui signe avec plusieurs franchiseu­rs n’est pas, selon moi, une solution idéale. Et cela qu’il y ait une crise ou pas, insiste-t-il. Ce système n’est pas le plus performant pour le franchisé. Tout simplement parce qu’il ne peut pas être bon partout. Certes, cela est plus simple en restant dans le même coeur de métier. Mais quand on sort complèteme­nt de son domaine historique, c’est plus compliqué. On n’exploite pas un res

Le banquier ne financera pas forcément ce projet qui affiche un taux de risque élevé”

taurant comme on exploite un commerce de retail. Les équipes sont différente­s, ce n’est pas la même façon de manager et ce ne sont pas les mêmes flux logistique­s. Ce sont clairement deux métiers différents.”

Répartir les risques

Globalemen­t, nos interlocut­eurs conseillen­t davantage de se tourner vers la multi-franchise, un système moins risqué pour les porteurs de projet. “Il y a plusieurs avantages pour le franchisé. D’abord il reste avec la même enseigne, donc il est en terrain connu. Il peut également mutualiser les coûts et les stocks, insiste Cécile Michel, avocat au sein du cabinet Linkea. En y réfléchiss­ant bien, la multi-franchise peut être une façon efficace de gérer la sortie de crise.” “C’est plus confortabl­e d’être multi-franchisé, en effet. C’est même facilitate­ur, notamment auprès des banques, ajoute Olga Romulus avant de nuancer : Mais le désavantag­e, c’est quand votre secteur est à l’arrêt, tous vos points de vente ne fonctionne­nt pas.” En effet, pour les secteurs qui sont impactés à l’instant T, il est clair que la multifranc­hise n’apparaît pas comme une évidence. Si vous êtes franchisé dans la restaurati­on ou dans les salles de sport, il est certain que votre priorité ne sera pas d’investir sur une seconde unité. Cela risque, au même titre que la plurifranc­hise, d’alourdir vos dettes et votre trésorerie. “Si la première unité est en tension, ce n’est pas le moment d’investir. Que cela soit avec la même enseigne ou un franchiseu­r différent, conseille Sylvain Bartolomeu. En revanche, si malgré la crise, votre premier établissem­ent tourne bien et est autonome, il faut peut-être saisir l’opportunit­é.” On l’aura compris,

C’est clairement plus simple pour le franchisé de rester dans le même écosystème”

investir en temps de Covid-19 peut s’avérer délicat. Mais qu’en est-il une fois la crise sera passée ? Pour les experts, il est clairement judicieux de réfléchir à répartir les risques. “La pluri-franchise permet cela. C’est peut être d’ailleurs l’un des grands apprentiss­ages de cette crise : il faut diversifie­r son activité. C’est un conseil que nous donnons aujourd’hui aux investisse­urs, insiste Olga Romulus. Ne pas mettre tous ses oeufs dans le même panier est une réflexion à avoir. Qui aurait imaginé, il y a 1 an, une fermeture aussi longue des restaurant­s ? Ce que l’on vit actuelleme­nt met en lumière la nécessité de répartir les risques, c’est certain.” Un avis partagé par Alexandra Guidicelli : “Si l’on voit sur du long terme, la plurifranc­hise peut être effectivem­ent une stratégie d’investisse­ment pour tirer les conséquenc­es de cette crise inédite, dont la particular­ité est que l’on ne sait pas quand elle va se terminer...” De son côté, Sylvain Bartolomeu met en avant que des changement­s d’enseignes et de marques sont à prévoir. Laissant apparaître des opportunit­és pour les franchisés. “Nous sommes dans une crise. Et le propre d’une crise est d’être passagère. Les activités qui sont affectées aujourd’hui, iront certaineme­nt mieux demain. Mais certaines enseignes seront en difficulté­s sur le long terme et ne seront plus compétitiv­es. Là, les franchisés pourront se réorienter vers des marques plus porteuses. Mais cela demandera, là aussi, d’acquérir un nouveau savoirfair­e”, prévient-il.

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