L'Officiel du Cycle

Redresseur de cadres

- Par Stéphane Le Gouic, photos SLG

Depuis deux décennies, Dujardin Motos s’est fait le spécialist­e français du redressage de cadre moto. Un art aux nombreuses vertus pour les revendeurs, les clients et les assureurs affirme José Dujardin, qui a travaillé de nombreuses années à l’établissem­ent d’une norme sur le sujet avec l’organisme SRA. Explicatio­ns.

Après un accident impliquant un 2-RM face à un autre véhicule, il n’est pas rare que le cadre soit endommagé. S’il est souvent irréparabl­e en cas de choc très violent, il peut être“sauvé”si l’impact ne l’a pas trop fait souffrir. Et qui dit sauvetage dit économies pour le client final, pour l’assureur, et de potentiell­es opportunit­és pour le motociste, à la fois en atelier et en fidélisati­on client. C’est ce postulat qui a guidé la carrière de José Dujardin qui ne se destinait pas vraiment à ouvrir une“maison de redresseme­nt”de cadre, lui qui a démarré dans la carrosseri­e auto de ses parents. Passionné par la moto depuis tout jeune, il décide d’ouvrir en 2002 son garage, Dujardin Motos, et de se spécialise­r dans la réparation des cadres (ainsi que dans la mécanique en général). À une époque où cette activité ne compte plus qu’une ou deux enseignes en France, une place est à prendre. Et un combat à mener pour lui qui passait deux voitures au marbre par semaine dans sa carrosseri­e et ne comprenait pas pourquoi tant de réticences s’élevaient dès que l’on parlait de réparer un cadre de moto.

Le contrôle d’abord

À l’époque, c’est une pratique de moins en moins usuelle, les pros préférant changer carrément la pièce pour une neuve, quoi qu’il en coûte puisque ce sont les assureurs qui payent… « Je voyais ça comme du gâchis, beaucoup de motos partaient à la casse alors que ça ne se justifiait pas toujours. Je trouvais qu’il y avait parfois moyen de redresser des cadres qui n’étaient pas touchés de façon irrémédiab­le et de les remettre en service dans l’optique de sauver une moto, le prix d’un cadre neuf dépassant souvent la valeur même du véhicule. » explique José Dujardin qui investit alors dans un marbre Marolo et l’installe dans son atelier à Bosc-le-hard, en Normandie. Le démarrage n’est pas violent car l'homme se heurte au scepticism­e des motocistes qui considèren­t qu’un cadre tordu doit être remplacé ou la moto mise en épave, ce qui leur permet de pouvoir en vendre une nouvelle à leur client. « Pour moi, c’était une prise de risque parce que, d’une part,

le motociste se privait d’heures d’atelier dans la mesure où le cadre était réparable et, d’autre part, il n’était pas certain que le client rachète une moto chez lui ! Alors que proposer une solution de réparation permettait de fidéliser son client à travers le sauvetage de sa machine. Je cite souvent l’exemple d’une motarde de 65 ans qui était tombée avec sa CB 500. Si elle n’avait pas eu la possibilit­é de faire réparer son cadre, elle était prête à arrêter la moto parce qu’elle n’avait pas les moyens financiers pour en acheter une autre. On le lui a réparé et elle a pu continuer… » assure

José qui dispose alors du soutien de certains experts. Ceux-ci l’encouragen­t dans cette voie assurément bénéfique pour les assurances et lui envoient des machines à redresser.

Au sein du SRA (Sécurité et Réparation Automobile­s), un organisme national qui réunit assureurs et experts, et dont la mission est de promouvoir des actions pouvant contribuer à la limitation du nombre et du coût des sinistres dans l’intérêt des assurés, une personne est alors en charge de trouver des solutions pour réduire le prix des réparation­s des 2-RM : Dominique Tijou. Les compagnies d’assurance lui demandent notamment de se pencher sur le cas des cadres qui font partie des pièces les plus chères à remplacer, les prix étant parfois exorbitant­s chez certains constructe­urs. « Comme j’étais un des redresseur­s de cadre les plus actifs en France, mon nom est arrivé dans les discussion­s du SRA et Dominique a pris contact avec moi. On est vite tombé d’accord sur la constituti­on d’une norme sachant que j'avais déjà un peu eu cette idée à mes débuts. Moi, j’étais conseiller technique au CNPA, une fédération qui travaille pour l’intérêt des profession­nels de la moto, et j’ai tout de suite senti une réticence quand j’e leur ai parlé du sujet.

Il a vraiment fallu se battre pour faire comprendre l’intérêt d’une telle norme » explique José.

Pas chauds, les constructe­urs...

C’est une montagne qui se dresse devant lui mais il va entamer cette ascension à partir de 2009. Premier obstacle, les constructe­urs, tous vent debout face à l’évocation de cette norme lors d’une première réunion. Pas question pour eux de toucher aux cadres de leurs machines, pour des raisons de sécurité, avancent-ils alors. En creux, c’est aussi pour des raisons financière­s bien compréhens­ibles qu’ils s’en offusquent, car se priver des rentrées que constituen­t les ventes de cadres, des pièces très onéreuses coûtant entre 1000 et 3000 €, est dommageabl­e pour eux… « Quand je leur ai expliqué comment je pratiquais la réparation d’un cadre en acier ou en aluminium, avec des techniques très sûres et fiables, et en restant limité à quelques parties de la structure, certains ont commencé à changer d’avis comme Honda, Suzuki et Peugeot. Puis au final, certains se sont rangés derrière la commission pour ce projet de norme sachant qu’elle se limitait à des interventi­ons très encadrées. » Deuxième obstacle, les motocistes, pour les raisons évoquées plus haut, notamment la vente de VN ou de VO suite à un sinistre. L’établissem­ent de la norme sera donc un long chemin, débuté en 2009 et finalisé en 2014, soit six années de travail, des tonnes d’analyses et de comptes rendus ainsi que de nombreuses réunions pour que tout le monde soit d’accord. Au final, la norme NFR 29-002 proposée par le SRA, le CNPA et le BNA (Bureau de Normalisat­ion Automobile) limite la réparation d’un cadre d’origine aux butées de direction, au système antivol de blocage de la direction, à la boucle arrière et aux supports de repose-pied et de carénage.

Le contrôle d’abord

Pour ce qui est du redressage d’un cadre, c’est un autre combat que José a dû entreprend­re, comme d’autres confrères avant lui, pour convaincre qu’il était possible de redresser un cadre et de le remettre en service après un passage au marbre et avec la caution d’un homme de l’art comme lui. « On ne peut pas faire n’importe quoi avec un cadre, c’est très fragile. Il faut avoir des compétence­s dans la mécanique et la chaudronne­rie, et être fortement équipé en matériel pour intervenir dessus. C’est pour cela que nous sommes très très peu en France à exercer cette activité. Par exemple, un cadre en aluminium ne se redresse pas, les molécules d’alu une fois comprimées ne reviennent jamais à leur état originel contrairem­ent aux molécules d’acier qui sont plus élastiques. Pour ce genre de grosse interventi­on qu’est le redressage d’un cadre, il faut bien entendu l’accord du client, de l’expert, de l’assureur et du réparateur. On passe outre le constructe­ur qui peut s’y opposer mais il doit alors prouver que la réparation du cadre n’est pas envisageab­le. » Les mentalités évoluent peu à peu chez les pros, mais Dujardin Motos ne croule pas sous le travail dans le strict domaine du redressage de cadre. Bien qu’il soit l'un des trois derniers spécialist­es en France, José Dujardin remet d’aplomb une trentaine de cadres par an. Ce que son fils Sylvain(qui l’a rejoint dans l’entreprise en 2011) et lui font beaucoup, c’est du contrôle de géométrie pour les pros et les particulie­rs. Avec deux appareils de mesure, un classique de type laser et un de type Touch (de chez Spanesi qui fait référence dans ce domaine), c’est une bonne centaine de contrôles par an qui sont assurés à Bosc-le-hard. « C’est pratiqueme­nt un préalable avant un passage au marbre.

Nous utilisons majoritair­ement le “Touch” qui est précis et pratique. Il contrôle au centième près les principale­s cotes qui permettent de s’assurer de la bonne forme du cadre, ce qui est rassurant pour un particulie­r qui a un doute sur sa moto, mais aussi pour un collection­neur qui doit s’engager dans une grosse restaurati­on et veut partir d’une base saine, et bien sûr pour un pro s’il doit certifier du bon état d’un véhicule d’occasion qu’il veut vendre. Quand il y a un gros problème sur le cadre, il faut alors passer à l’étape du marbre pour redresser ce qui peut l’être.parfois, on a même des motos neuves qui nous parviennen­t pour un contrôle avec des cadres qui n’ont pas été bien construits en production. On a eu récemment le cas avec une marque que je ne citerai pas, une moto neuve ne roulait pas droit sans que le concession­naire ne comprenne pourquoi.

Il a changé la fourche puis le bras oscillant, et il m’a finalement demandé de vérifier le cadre. Il était en fait un poil tordu d’origine, on l’a redressé au marbre et la moto a retrouvé un comporteme­nt normal. »

IL ARRIVE PARFOIS QUE DUJARDIN MOTOS REDRESSE LE CADRE D'UNE MOTO NEUVE !

Parfois, Dujardin Motos est l’ultime recours comme pour ce cadre de Harley Tri-glide en sale état et qu’il fallait absolument réparer, la pièce d’origine n’étant pas disponible. Pour ne pas immobilise­r définitive­ment un engin à près de 40000€, les Normands ont été sollicités, et après deux jours de travail et une facture de 1700€, le trike H-D était opérationn­el. Pour des interventi­ons moins lourdes, les tarifs sont plus raisonnabl­es, il faut compter 90 € ou 160€ pour un contrôle de géométrie selon le choix de la méthode, et à partir de 250€ pour un simple redressage sur le marbre, la complexité du travail pouvant faire monter l’addition jusqu’à 2000€ . Au moment de notre reportage, un cadre de Harley Fat Boy était sur le marbre après un choc frontal qui avait“bombé”le tube supérieur et fait bouger la colonne de direction. La remise en état s’est élevée à 600€ alors que l’échange standard du cadre aurait coûté 2600€. Pas photo… Même si après l’instaurati­on de la norme NFR 29-002, les constructe­urs ont eu tendance à baisser le prix de leurs cadres d’origine pour que les motocistes optent quand même pour leur changement en cas d’accident, la réparation reste une alternativ­e plus que valide voire empreinte de bon sens comme le suggère José Dujardin en guise de conclusion : « Réparer un cadre qui peut l’être et sauver une moto de la destructio­n, c’est bon pour tout le monde, client, motociste, assureur... En termes de développem­ent durable, c’est aussi intéressan­t de prolonger la vie d’un véhicule, c’est un cercle vertueux. »

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 ??  ?? 1 Un cadre faussé sur le marbre, l'outil de torture !
2 Avant l'éventuel passage au marbre, un contôle peut se faire avec cette machine distribuée par Marolo, la fameuse“touch”...
3 Chez Dujardin Motos, on vend et on répare de tout, avec la concession Benelli en prime.
1 Un cadre faussé sur le marbre, l'outil de torture ! 2 Avant l'éventuel passage au marbre, un contôle peut se faire avec cette machine distribuée par Marolo, la fameuse“touch”... 3 Chez Dujardin Motos, on vend et on répare de tout, avec la concession Benelli en prime.
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 ??  ?? José Dujardin s'est très tôt spécialisé dans la réparation des cadres de moto.
José Dujardin s'est très tôt spécialisé dans la réparation des cadres de moto.
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 ??  ?? 1 Une fois le cadre mis à nu, il faut l'installer sur le marbre et monter les presses adaptées.
2 Fortement tordu, ce cadre a pu être redressé grâce au talent des hommes de Dujardin Motos.
3 Les prises de mesures sont fondamenta­les dans la reprise d'un cadre.
4 La poutre de ce cadre de Harley Fat Boy était bombée après un choc, la presse va gentiment la remettre d'aplomb.
5 Chez les Dujardin, on fait aussi dans la restaurati­on de motos anciennes...
1 Une fois le cadre mis à nu, il faut l'installer sur le marbre et monter les presses adaptées. 2 Fortement tordu, ce cadre a pu être redressé grâce au talent des hommes de Dujardin Motos. 3 Les prises de mesures sont fondamenta­les dans la reprise d'un cadre. 4 La poutre de ce cadre de Harley Fat Boy était bombée après un choc, la presse va gentiment la remettre d'aplomb. 5 Chez les Dujardin, on fait aussi dans la restaurati­on de motos anciennes...

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