L'Officiel du Cycle

L’avenir de la profession en jeu pour Vincent Thommeret

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Le président de la branche 2/3-RM de la Csiam tire le signal d’alarme. Dans un climat de sensibilit­é exacerbée de la population à l’égard des sources de bruit, Vincent Thommeret exhorte les profession­nels du 2/3-RM à endosser le rôle de prescripte­urs bien inspirés. Pourquoi reparler aujourd’hui du problème de l’excès de bruit généré par certains motocycles ?

C’est un sujet qui remonte systématiq­uement dans de nombreux discours politiques. J’ai reçu récemment le programme électoral d’europe Écologie Les Verts. On y trouve un article rien que sur les nuisances sonores – pas uniquement celles imputables aux deux-roues, mais celles générées par les véhicules en général, par l’aviation, etc. Le sujet est présenté comme un problème de santé publique. Ajoutons que depuis 2020, confinemen­ts et couvre-feux ont amplifié le phénomène de la perception négative du bruit, en particulie­r en ville, car la population a redécouver­t le silence, y compris et surtout dans des zones où le bruit est omniprésen­t, à part la nuit. Quant au fait de répondre aux questions de L’officiel, il est motivé par la nécessité de parler à tous les acteurs de la moto, dans la mesure où le réseau de la vente et de la réparation a un rôle à jouer dans ce dossier.

Lorsque l’on rouvre ce débat, on a l’impression que rien n’est résolu depuis 30 ans, malgré le durcisseme­nt des normes imposées aux marques, et bien que le réseau profession­nel de la réparation n’ignore rien de ce problème. Qu’en est-il vraiment ?

Il s’agit d’un problème “à tiroirs”, dont l’examen peut partir dans tous les sens. Il faut donc structurer notre propos. Nous avons un règlement européen, un code de la route français, des constructe­urs de motocycles, des revendeurs, des consommate­urs et un public à la sensibilit­é de plus en plus affûtée. Tout d’abord, le constat que nous faisons, à la Csiam, pose la question de la méconnaiss­ance (ou d’une connaissan­ce insuffisan­te) des termes de la réglementa­tion. Nous lisons ici et là des assertions assez surprenant­es, comme par exemple « c’est bizarre qu’il y ait certaines motos qui ont le droit de faire plus de bruit que d’autres. » Ce genre de remarque en dit long sur une perception floue de la réalité. En fait, la réglementa­tion est évidemment la même pour tous. Ce qu’il me paraît important de souligner, à ce stade – c’est la position des constructe­urs inscrits à la Csiam –, c’est que le procès intenté au deux-roues motorisé est le fait de personnes plutôt mal informées, qui ont tendance à décréter que tout ce qui roule sur deux ou trois roues, par nature, fait trop de bruit. Nous ne pouvons pas laisser courir ce genre d’a priori. Ce qui fait trop de bruit, ce sont les motocycles équipés de systèmes d’échappemen­t modifiés, et illégaleme­nt modifiés. Les constructe­urs ont l’obligation de vendre des motos conformes, bien évidemment. Et si tel n’était pas le cas, cela renverrait à la responsabi­lité des dirigeants de chaque marque. Quant aux revendeurs profession­nels, ils sont amenés à proposer aux consommate­urs des systèmes d’échappemen­t de remplaceme­nt – il s’agit d’un marché florissant. Or, ces systèmes doivent être conformes aux mêmes normes, exactement, que les équipement­s d’origine. Autrement dit, ils doivent garantir une limite d’émission sonore de 80 décibels dans les conditions dictées par la procédure d’homologati­on, et respecter les exigences en matière d’émissions gazeuses.

Quelle forme cette action prend-elle ?

Le message passé peut se résumer de cette façon : en tant que concession­naires, nous vous demandons de prêcher la bonne parole, de faire un rappel à la loi. Modifier l’échappemen­t en dehors des limites réglementa­ires, le véhicule n’est plus homologué, ni en bruit, ni quelques fois en pollution atmosphéri­que. Il ne faut donc plus proposer à la vente de silencieux de remplaceme­nt homologués qui pourraient être modifiés. À côté de cela, ne soyons pas naïfs : des accessoiri­stes de notre secteur, qu’ils gèrent des magasins ou fassent du commerce en ligne, ne sont pas directemen­t destinatai­res du message communiqué par les constructe­urs aux concession­naires. Cela signifie qu’il va falloir continuer à prêcher la bonne parole et essayer de faire en sorte que certains comporteme­nts cessent. 30 ou 40 ans en arrière, pour espérer une améliorati­on de la situation, il fallait attendre que la loi change, se durcisse, à travers l’évolution du Code de la route. Puis, au gré de la constructi­on européenne, L’UE s’est saisie du dossier. J’ajoute qu’au fil du temps, aussi, l’état d’esprit des gens a changé, en ce sens que l’individual­isme a gagné du terrain et que le niveau de tolérance de n’importe quel bruit généré par “les autres” a faibli. Les nuisances peuvent être réelles, mais les gens supportent de moins en moins le bruit en général, en particulie­r les bruits “de voisinage”. Enfin, rappelons que le pouvoir de décision des autorités locales, et notamment municipale­s, s’est considérab­lement accru. Le pouvoir des maires de créer des zones à faibles émissions (ZFE), par exemple, témoigne de cette évolution. Et cela ne va sûrement pas s’arrêter là, ne serait-ce que parce que cette intoléranc­e au bruit d’autrui est de plus en plus mise en avant par les électeurs qui, dès qu’on leur donne la parole, disent « Je ne supporte plus ça ».

Pointez-vous du doigt le problème de la modificati­on, après la vente, de certains de ces systèmes de remplaceme­nt ?

Tout à fait. À une certaine époque, la plupart des silencieux de remplaceme­nt présentaie­nt des pièces démontable­s – les réducteurs de bruit, principale­ment. Donc, des utilisateu­rs modifiaien­t leurs silencieux et rendaient ainsi leur véhicule non conforme. Avec l’euro 5 et les matériels homologués afférents, ce problème est appelé à disparaîtr­e. Mais il existe une autre source de transgress­ion : certaines motos sont parfois utilisées sur circuit par leurs propriétai­res, y compris dans le cadre de ce qu’on appelle les track days. Dans ce cas précis, les constructe­urs, ne cherchant plus à coller au Code de la route, développen­t des lignes d’échappemen­t pour ces journées piste. Et des motards poussent le bouchon jusqu’à monter une ligne dite racing en vue d’un usage quotidien. Ces deux phénomènes – ligne homologuée modifiée, ou ligne racing en utilisatio­n quotidienn­e – jettent le discrédit sur l’ensemble de la population des usagers du 2-RM. D’où l’action engagée aujourd’hui par les constructe­urs : on sait que la lutte contre les excès de bruit doit être une priorité pour nous tous. Il en va de l’avenir de notre profession.

C'était l'une des motivation­s du contrôle technique, non ?

Le contrôle du niveau sonore des motocycles, tout à fait. Le gouverneme­nt a fait marche arrière à ce sujet. Pour autant, le secrétaire d’état aux Transports, Jean-baptiste Djebbari, a indiqué que le gouverneme­nt allait quand même « traiter le problème du niveau sonore des deux-roues » et « revenir auprès de la Commission européenne avec des propositio­ns » [censées permettre à l’état français de déroger à la directive 2014/45/UE conforméme­nt aux termes de l’article 2-2 de ladite directive, NDLR] en vue de l’améliorati­on de la sécurité routière. Donc, on va se retrouver avec un déploiemen­t des radars-méduses au bord des routes ! Le risque qui pèse sur l’ensemble de la profession et sur le développem­ent de notre activité amène hélas à considérer que la répression, à un moment donné, pourrait être un recours. Je suis d’accord avec la FFMC lorsqu’elle explique que la répression n’est pas la solution, que l’éducation doit lui être préférée. Reste à savoir si cette éducation a quelque chance de nous permettre d’atteindre l’objectif, c’est-à-dire la fin de certains comporteme­nts… De même, dans le sport moto, il faut en finir avec la formule

“bruit égale performanc­e”.

Quelle autre donnée pourrait amener la population à regarder le motocycle comme autre chose qu’une source d’excès de bruit ?

C’est très simple. Quand on sait, d’une part, que plus de 50 % du parc de 2/3-RM en France est composé de 50 cm3 et de 125 cm3 (ces machines, en Euro 5, émettent moins de 55 g de CO2 au kilomètre) et que, d’autre part, elles coûtent moins de 3 000 € dans leur grande globalité, il faut répéter que nous avons là des produits qui concourent à la décongesti­on des villes, évitent dans bien des cas d’acheter une deuxième voiture (dans laquelle on se déplace seul le plus souvent) et permettent par conséquent de s’engager individuel­lement dans une transition énergétiqu­e efficace en participan­t à la baisse des émissions de polluants. Faut-il compromett­re indéfinime­nt les chances de notre marché de se déployer plus et mieux, juste pour une histoire d’excès de bruit ? Nul, chez les profession­nels, ne veut s’ériger en donneur de leçon, ni se comporter en dénonciate­ur. En même temps, si nous voulons que ça bouge, il est temps de prendre conscience d’une évidence.

« Il ne faut plus proposer à la vente des silencieux de remplaceme­nt qui pourraient être modifiés »

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Président de la Chambre syndicale depuis un an, Vincent Thommeret demande une prise de conscience de la part des pros sur le problème du bruit.
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days qui conserve son échappemen­t
racing la semaine sur sa sportive fait assurément du mal à la corporatio­n, estime Vincent Thommeret.
Le pilote de track days qui conserve son échappemen­t racing la semaine sur sa sportive fait assurément du mal à la corporatio­n, estime Vincent Thommeret.

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