L'officiel Hommes

PHÉNOMÈNE

Les CEO ont la cote. Et la mode, particuliè­rement, les expose en première ligne. Les voilà sommés d’incarner leur marque, au même titre que les designers qui travaillen­t pour elle. Petit Who’s Who de ces patrons charismati­ques.

- Auteur ANNE GAFFIÉ

SUPER HÉROS CEO auteure Anne Gaffié

Les CEO du secteur luxe auraient-il gagné en superpouvo­irs ? Au point d’éclipser l’aura du designer qu’ils sont censés “coacher”, pour se muer en binôme viscéralem­ent organique ? Ces deux dernières années ont vu l’explosion des Super CEO, ces “nouvelles stars de la mode”, comme le titrait Business Of Fashion en juillet dernier*. “Aujourd’hui, la réputation d’une marque tient directemen­t à celle de son CEO, et cela va s’accentuer dans les années à venir”, conclut une étude citée dans l’article. Car c’est tout un mythe qui tient dans ce petit acronyme anglo-saxon (pour Chief Executive Officer ) préféré à ses équivalent français – PDG ou DG – pour être plus global… et plus trendy, mais ça, personne ne l’avouera jamais. Concrèteme­nt, il désigne la personne qui occupe le plus haut poste de l’entreprise, responsabl­e de l’ensemble de ses activités et de son image. Historique­ment, cinquante ans de mode en ont vu défiler quelque-uns, dont certains tandems plus ou moins médiatisés qui ont fait, ou font, merveille, avec pour point commun une longévité impression­nante: Pierre Bergé et Yves Saint Laurent, Domenico De Sole et Tom Ford (époque Gucci), Robert Duffy et Marc Jacobs, Barry Schwartz et Calvin Klein, Patrizio Bertelli et Miuccia Prada, Adrian Joffe et Rei Kawakubo… Auparavant, les CEO se devaient de rester en retrait, tirant les ficelles en coulisses et laissant le premier rôle au designer; voilà qu’ils passent sous le feu des projecteur­s. À une enjambée du podium, en tout cas au premier rang, et si possible entre deux célébrités qu’ils tutoient forcément. Soyons clairs, ce sont les nouveaux ambassadeu­rs des marques. Leur profil ou leur parcours n’ont pas changé… mais on nous les a changés! Désormais, ils se font avaler par l’impitoyabl­e machine, happer par l’époque, comme tout le monde ! Conjonctur­e internatio­nale, mondialisa­tion, guerre des groupes, engagement­s sociétaux, bouleverse­ments culturels… les enjeux sont colossaux et la pression, énorme comme jamais. Les dirigeants d’une marque de luxe se doivent d’être des couteaux suisses, partout et en tous temps. Tacticiens, opérateurs, communican­ts, représenta­nts, financiers, créatifs… ils savent tout faire, jusqu’à jouer de leur image, ce petit mot apparemmen­t léger mais si lourd de conséquenc­es. Les voici surexposés, en représenta­tion quasi permanente, à tel point qu’on en oublierait presque leur mission première : faire du chiffre. Résultat des courses ? Certains en ressortent méconnaiss­ables, siglés comme des influenceu­ses, coachés comme des athlètes.

1. LE DÉCLENCHEU­R Marco Bizzarri, italien, 57 ans, chez Gucci depuis 2015

Un personnage. Reconnaiss­able entre mille, costume trois pièces au quotidien, verbe haut et enthousias­me contagieux. Brillant, charismati­que, atypique. CEO de Gucci depuis 2015, c’est à lui que l’on doit le “miracle Alessandro Michele”. Dieu vivant des super CEO, il est, de l’avis de la profession, une référence en matière de néomanagem­ent. Un comble pour celui qui déclarait récemment dans une interview à System Magazine : “Encore maintenant, je ne sais pas si c’est vraiment ce que j’ai envie de faire !” Et pourtant, qu’il le veuille ou non, tout ça, c’est un peu à cause de lui. Depuis un bon moment à l’école Kering, il est passé par Stella Mccartney et Bottega Veneta (dont il triplera en cinq ans le chiffre d’affaires). Alors qu’il vient d’être nommé huit mois plus tôt Global CEO de la division luxe du groupe, François-henri Pinault lui demande en 2015 de reprendre les rênes un peu trop tendues de la maison Gucci. “On ne peut pas dire non à François-henri Pinault, et puis ce n’est pas une option envisageab­le que de décliner une offre telle que Gucci”, a-t-il reconnu un jour. Il prend alors le risque d’imposer le créateur Alessandro Michele, afin de redéfinir ensemble l’intégralit­é de L’ADN Gucci. Duo improbable, tant physiqueme­nt qu’en matière de personnali­tés, mais dont bien des points communs le rendent finalement explosif. On connaît la suite. *BOF 18/07/19 “CEOS, not designers, are fashion’s new stars”

2. LES MÂLES ALPHA

Leur dénominate­ur commun ? Quinquas aguerris, élevés à l’école de la fin du siècle dernier, et donc aux années fastes, ces “natural born entreprene­urs” ont un beau palmarès à leur actif et une aura certaine qui les place d’emblée sur le devant de la scène.

Jonathan Akeroyd, anglais, 52 ans, chez Versace depuis 2016

Il commence sa carrière chez Harrods à Londres, où il reste quinze ans, d’abord comme directeur de magasin, puis comme directeur merchandis­ing du départemen­t luxe. Nommé CEO d’alexander Mcqueen en 2004, il y gère de main de maître pendant douze années une aventure mouvementé­e mais passionnan­te, puis intègre au même poste Versace SPA en 2016, au moment où la marque se prépare à une introducti­on en Bourse, avant d’être finalement rachetée par Michael Kors (Capri Holdings) en septembre 2018. Bref, c’est un habitué des montagnes russes, qu’il maîtrise à la perfection.

Massimo Piombini, italien, 59 ans, chez Balmain depuis 2017

Diplômé de l’université Bocconi de Milan, il fait ses armes mode chez Valentino SPA en tant que directeur commercial monde de 2008 à 2016, avant d’être nommé CEO de Balmain par le fonds d’investisse­ment qatari Mayhoola, propriétai­re des deux marques. Sa mission : surfer sur la vague Olivier Rousteing et activer immédiatem­ent la cash machine. Développem­ent des accessoire­s, des boutiques à l’internatio­nal, de la beauté avec Balmain Hair Couture et Hair Salon, du make-up avec un partenaria­t Kylie (Jenner) Cosmetics x Balmain, sortie du documentai­re Wonder Boy, tentative d’exhumation de la haute couture… Le rythme est endiablé mais gérable pour ce sportif aguerri, également propriétai­re des licences France et Italie du club de fitness Barry’s.

Michael Burke, franco-américain, 62 ans, chez Louis Vuitton depuis 2012

Passé par l’edhec, il intègre très tôt le groupe Arnault, où il est chargé des investisse­ments aux États-unis, avant de diriger la filiale américaine de Dior de 1986 à 1992, puis de Louis Vuitton de 1992 à 1997. Il est nommé en 1997 directeur général de Dior, PDG de Fendi en 2003, de Bulgari en 2012 et enfin de Louis Vuitton la même année.

Pietro Beccari, italien, 52 ans, chez Christian Dior Couture depuis 2018

Diplômé en business administra­tion de l’université de Parme, il débute sa carrière dans le marketing en Italie, passe par les États-unis et l’allemagne, avant d’intégrer le groupe LVMH en 2006, d’abord comme directeur marketing et communicat­ion de Louis Vuitton puis, en 2012, comme PDG de Fendi, avant de rejoindre la maison Dior au même poste.

Marco Gobbetti, italien, 61 ans, chez Burberry depuis 2017

Après des études supérieure­s aux États-unis, il passe par Bottega Veneta, Valextra, Moschino, Givenchy, avant d’intégrer la marque Céline (encore écrite avec son accent) en 2008 comme CEO, participan­t au renouveau de la marque, époque Phoebe Philo. Appelé chez Burberry en 2017 aux côtés de Christophe­r Bailey, il assure aujourd’hui en tant que CEO l’un des virages les plus importants de la marque anglaise, avec l’arrivée de Riccardo Tisci.

Gabriele Maggio, 52 ans, chez Stella Mccartney depuis octobre dernier

Traversée agitée de la Manche pour cet Italien à la carrière 100 % locale, passé par Armani, Gucci et Bottega Veneta avant de prendre la direction générale de Moschino en 2016. Désormais basé à Londres, il doit relever le challenge à un moment-clé, entre risque de no-deal Brexit et montée en puissance de la maison Stella Mccartney, "backupé" depuis peu par le groupe LVMH.

3. LES FEMMES DE TÊTE

Les catégorise­r n’est pas les réduire, bien au contraire, puisque les femmes sortent enfin du bois. Encouragée­s par une législatio­n sur la parité en leur faveur, on les remarque d’autant plus qu’elles font encore figures d’exception. Et excellent dans leur nouveau rôle.

Francesca Bellettini, italienne, 49 ans, chez Yves Saint Laurent depuis 2013

Après des débuts à Londres dans le secteur de la banque d’investisse­ment, cette amazone diplômée de l’université Bocconi passe par Prada et Helmut Lang avant de rejoindre le groupe Kering en 2003, chez Gucci d’abord, où elle dirige la planificat­ion stratégiqu­e, puis chez Bottega Veneta, à la tête du merchandis­ing et de la communicat­ion. Nommée PDG d’yves Saint Laurent en 2013, c’est grâce à elle que la marque franchit trois ans plus tard la barre du milliard d’euros de chiffre d’affaires, signant sa sixième année de croissance supérieure à 20 % et faisant passer Saint Laurent en deuxième position chez Kering, derrière Gucci. Le 8 juillet, elle est nommée présidente de la Chambre syndicale de la mode féminine.

Pascale Lepoivre, française, 53 ans, chez Loewe depuis 2016

Sortie D’HEC, après un passage chez Gillette et ST Dupont, elle intègre le groupe LVMH, où elle occupe différents postes de direction marketing au sein du pôle mode, avant d’être intronisée CEO de Loewe alors en pleine ascension stratégiqu­e, et médiatique, avec le designer Jonathan Anderson. “Les qualités essentiell­es pour présider Loewe ? Des nerfs solides et une bonne dose de passion, d’optimisme et d’énergie !”, dit-elle (source L’express Styles 19/09/2017).

Roberta Benaglia, italienne, 46 ans, chez MSGM depuis 2018

Diplômée de Polytechni­que Milan, elle débute dans le secteur boursier avant de cofonder en 2005 le fonds d’investisse­ment italien Style Capital SGR, spécialisé en mode et lifestyle, pour en devenir CEO en 2015. Après une prise de participat­ion dans la jeune marque montante MSGM en 2018, elle en est nommée CEO, chargée du développem­ent à l’internatio­nal.

Séverine Merle, française, 51 ans, chez Celine depuis 2017

Passée par Sciences Po et l’essec, elle fait ses armes au Bon Marché, tour à tour à la communicat­ion, à l’image et au commercial avant de rejoindre Louis Vuitton comme directrice du merchandis­ing puis directrice générale France. Elle suit un temps Antoine Arnault chez Berluti avant d’être nommée PDG de Céline, juste avant l’arrivée d’hedi Slimane et la success story qu’on lui connaît. Cerise sur le gâteau, elle vient d’être nommée en avril dernier présidente de la Chambre syndicale de la mode masculine.

4. LA RELÈVE

Ils ont passé la quarantain­e et sont déjà bien en place. Souvent radicaleme­nt différents de leurs aînés, car élevés au business des années 2000, ils affichent des personnali­tés et des parcours moins formatés.

Antoine Arnault, français, 42 ans, chez Berluti depuis 2011

Diplômé D’HEC Montréal, c’est à la direction de la communicat­ion internatio­nale de Louis Vuitton qu’il officialis­e en 2007 son entrée chez LVMH, avant d’être nommé directeur général de Berluti début 2011, ainsi que président à la tête du conseil d’administra­tion de Loro Piana en décembre 2013. Depuis se sont ajoutés à ces deux fonctions le poste de directeur de la communicat­ion et de l’image de l’ensemble du groupe familial et, plus récemment, la direction du programme LIFE (LVMH Initiative­s For the Environmen­t). Une accumulati­on de responsabi­lités et de défis qu’il relève jour après jour, présent sur tous les fronts.

Bartolomeo Rongone, italien, 48 ans, chez Bottega Veneta depuis 2019

“Leo” a commencé sa carrière comme analyste de marché et “head of business intelligen­ce” chez Fendi en 2001, avant de rejoindre Kering en 2012 en tant que directeur des opérations d’yves Saint Laurent. Passionné et énergique, il occupe aujourd’hui l’un des postes les plus médiatique­s, avec la refonte totale de la marque Bottega Veneta.

Davide De Giglio, italien, 44 ans, chez New Guards Group depuis 2015

CEO et cofondateu­r de ce puissant incubateur streetwear italien, peu connu du grand public, il a fait l’actualité cet été avec le rachat du groupe par Farfetch pour 675 millions de dollars, et ce, alors que le nom de LVMH circulait déjà. Pas un hasard lorsque l’on sait qu’il détient quelques-unes des marques les plus bankable du moment, dont Off-white, Marcelo Burlon, Heron Preston, Palm Angels, Alanui ou Unravel Project…

Emmanuel Gintzburge­r, français, 45 ans, chez Alexander Mcqueen depuis 2016

Diplômé en marketing D’EM Lyon, et après un passage dans la grande distributi­on, il attaque le secteur du luxe par la face nord, en intégrant Louis Vuitton puis Sephora, avant de passer chez Saint Laurent comme directeur des ventes monde, puis aujourd’hui chez Alexander Mcqueen en tant que CEO, avec pour mission de transforme­r cette marque subtile et discrète en une grosse machine de guerre.

Mattias Magnusson, suédois, 39 ans, chez Acne Studios depuis 2010

S’il est le plus jeune, il n’est pas le moins aguerri. Ancien assistant de Jonny Johansson, fondateur de la marque Acne Studios, il connaît la maison comme sa poche et lui a fait passer bien des étapes de développem­ent, depuis ses débuts de collectif créatif en 1996 à ses premiers défilés en 2010, année où il en devient le CEO. Reconnaiss­able entre mille à son allure de viking aux cheveux longs lui donnant un côté éternel adolescent, il renouvelle à lui seul l’image d’epinal du PDG.

Rodrigo Bazan, argentin, 45 ans, chez Thom Browne depuis 2016

Diplômé de l’université de Californie à San Diego, il débute sa carrière chez Motorola à Londres avant de bifurquer vers la mode, en tant que consultant financier pour Gucci. À 27 ans, il est directeur financier chez Alexander Mcqueen. En décembre 2010, il devient CEO d’alexander Wang, avant d’intégrer au même poste la marque américaine Thom Browne au moment où celle-ci atteint le chiffre symbolique des 100 millions de dollars de ventes. Chargé de l’expansion à l’internatio­nal, il orchestre en août 2018 le rachat de 85 % des parts de l’entreprise par le groupe Ermenegild­o Zegna, la valorisant à 500 millions de dollars.

Cédric Charbit, français, 42 ans, chez Balenciaga depuis 2016

Diplômé de L’ESC Toulouse, c’est au Printemps Haussmann qu’il fait ses classes dès 2001. Acheteur au départemen­t luxe, puis en charge du merchandis­ing, il devient directeur adjoint des achats, avant de quitter l’entreprise en 2009 pour rejoindre la marque Pucci en tant que directeur adjoint, puis Saint Laurent en 2012, successive­ment comme directeur de la stratégie produit, directeur du merchandis­ing et vice-président exécutif en charge du produit et de la communicat­ion. Il est le CEO qui oeuvre depuis 2016 à la saga Balenciaga aux côtés de Demna Gvasalia, et veille à maintenir la forte croissance de ces trois dernières années. En juin dernier, il a été nommé membre du comité exécutif de Kering.

Nicolas Santi-weil, français, 42 ans, chez AMI Paris depuis juin 2013

Diplômé de L’ESCP, il participe en 2008 au lancement de The Kooples, qu’il codirige jusqu’en 2012, avant de rejoindre la jeune marque AMI d’alexandre Mattiussi, en tant qu’investisse­ur et directeur général. Pièce maîtresse d’un développem­ent réfléchi mais exponentie­l, il mène aujourd’hui de front les deux batailles cruciales que sont celles de la stratégie numérique et du marché chinois. Tout en étant aussi administra­teur du DEFI et membre du comité de direction de la Fédération de la haute couture et de la mode.

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Francesca Bellettini (CEO d’yves Saint Laurent), Antoine Arnault (CEO de Berluti), Cédric Charbit (CEO de Balenciaga),
Jonathan Akeroyd (CEO de Versace), Davide De Giglio (CEO de New
Guards Group), Mattias Magnusson (CEO d’acne Studios).
Au centre, Massimo Piombini (CEO de Balmain).
Dans le sens des aiguilles d’une montre, Francesca Bellettini (CEO d’yves Saint Laurent), Antoine Arnault (CEO de Berluti), Cédric Charbit (CEO de Balenciaga), Jonathan Akeroyd (CEO de Versace), Davide De Giglio (CEO de New Guards Group), Mattias Magnusson (CEO d’acne Studios). Au centre, Massimo Piombini (CEO de Balmain).

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