2020, ANNÉE RESPONSABLE ?
En mettant sa toute-puissance, symbolique et effective, au service de la grande cause du développement durable, l’industrie du luxe entend non seulement se redonner un sens, mais aussi s’assurer une nouvelle dynamique de croissance. Cet engouement du secteur pour “l’économie à impact” est une petite révolution en soi qui, si elle semble commencer maintenant, demande encore à faire ses preuves.
Dans l’industrie du luxe, la responsabilité d’entreprise, sociale et environnementale, est devenue en quelques mois l’outil incontournable des stratégies de communication. Mais à quel prix et avec quel coût schizophrénique ? D’un côté, les marques continuent à déployer l’artillerie lourde quand il s’agit de faire voyager mille personnes à l’autre bout de la planète le temps d’un défilé ; de l’autre, chaque invité se verra bientôt remettre un certificat attestant de sa contribution à la taxe carbone à hauteur de deux/trois arbrisseaux par tête offerts par la maison de luxe, qui viendront reboiser tantôt l’australie, tantôt l’amazonie. Une même question plane sur toutes les lèvres : fallait-il vraiment partir si loin, avec le risque d'être accusé de pratiquer le “tree-washing” ? Cet exemple raconte bien la complexité d’une époque, et on sait combien l’enfer est pavé de bonnes intentions. Il n’empêche. Certaines annonces sonnent comme des coups marketing dont la bonne foi reste encore à prouver. Mais ne pas évoquer les chantiers écoloconcernés lancés cette année par les acteurs clés du secteur de la mode serait irresponsable. Ce dilemme, le Forum économique mondial de Davos vient d’en faire le thème de sa 50e édition (non sans avoir émis en quatre jours et via 1500 jets privés quelque 18 000 tonnes de CO2 !*). Bien-être au travail, inclusivité, diversité, développement durable, écoresponsabilité… Certains grands leaders occupent efficacement le terrain, avec la volonté de faire de cette année 2020 le coup d’envoi d’une décennie de métamorphoses. État des lieux non exhaustif, tant les choses vont vite. * Estimation www.ccn.com du 20/01/20.
KERING: UNE STRATÉGIE ENVIRONNEMENTALE PIONNIÈRE
Marie-claire Daveu : ingénieure de formation, éminence verte du groupe depuis 2012, où elle occupe le poste de directrice du développement durable et des relations institutionnelles internationales, son engagement, son énergie (et sa médiatisation aussi) ont fait d’elle LE modèle du genre. Mise en place de stratégies, d’objectifs, de pratiques d’excellence forment son quotidien. S’il ne fallait retenir que deux de ses faits d’arme, ce serait la mise en place du Fashion Pact et de l’outil EP&L (Environmental Profit and Loss, qui mesure les impacts environnementaux du groupe, les suit et les rend publics dans un compte de résultat environnemental).
Le Fashion Pact: signé en août dernier au G7 de Biarritz, il fédère aujourd’hui 56 entreprises mondiales (soit 250 marques) autour de la cause environnementale, avec l’objectif de freiner l’impact négatif de l’industrie mode sur le climat, la biodiversité et les océans. Concrètement
? Éliminer les émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2050, réduire l’usage du plastique d’ici à 2030, et subventionner les innovations technologiques en ce sens. Un premier compte-rendu des travaux engagés sera publié en septembre 2020.
Le rapport d’étape développement durable 2020: rendu public le 30 janvier dernier, il fait le point sur l’avancement de la stratégie environnementale du groupe à l’horizon 2025. Avec, entre autres engagements, celui de réduire de 40% son empreinte environnementale, et de 50% son empreinte carbone. Dévoilement des progrès réalisés, des défis restants encore à relever, il prône la transparence et la collaboration. Le “CEO Carbon Neutral Challenge” chez Gucci : à l’automne dernier, Marco Bizzarri, président de Gucci, participait à Milan à la plantation des 200 premiers arbres sur les 2 000 dont la marque a fait don à la ville pour compenser les émissions de CO2 induites par le défilé de septembre, soit le déplacement de 1000 invités, 900 techniciens, mannequins et collaborateurs. Une présence symbolique à la hauteur de son investissement sur le sujet, suivie quelques semaines plus tard de la création du “CEO Carbon Neutral Challenge”, un appel à tous ses homologues du secteur à se mobiliser pour la réduction de la production de gaz à effet de serre, d’abord dans l’urgence en en compensant financièrement l’effet négatif, et ensuite en les réduisant. Ainsi, Gucci aurait l’an dernier compensé l’émission d’1,4 million de dioxyde de carbone en versant 8,4 millions de dollars à des programmes de sauvegarde des écosystèmes au Pérou, au Kenya, en Indonésie et au Cambodge.
La “Chaire Sustainability” à L’IFM : créé le 14 novembre dernier, ce pôle de recherches et d’enseignement supérieur soutenu par Kering met en place à l’institut français de la mode des modules de formation dédiés à la mode responsable.
Le classement Climate A-list du CDP : pour la troisième année consécutive, Kering est le seul représentant du secteur du luxe à figurer dans ce classement mondial référent en matière de transparence environnementale de 8 400 entreprises et dont seules 2% obtiennent un A.
LVMH : DES TÊTES TOUJOURS PLUS VERTES
Trois femmes ont la main verte : Sylvie Bénard, “madame green” du groupe LVMH pour lequel elle a oeuvré en coulisses pendant vingtsept ans et qui vient de laisser son siège de directrice de l’environnement à Hélène Valade, nommée début 2020, et Stella Mccartney, nommée en juillet dernier au poste de Sustainability Special Advisor. Un homme : Antoine Arnault, à la tête du service Communication & Image du Groupe LVMH, auquel le département Environnement est désormais rattaché.
Le programme LIFE : initié en 2012, intégré en 2015 dans les stratégies des 75 marques du groupe, et “réinitialisé” en septembre dernier lors d’une conférence de presse longue de trois heures, le programme global “LVMH Initiatives For the Environment” est une réponse claire de la part du groupe à l’enjeu de la responsabilité éthique de l’entreprise, à la place qu’elle doit occuper au sein de la société globale, mais aussi à ces détracteurs qui raillaient un retard du groupe dans l’engagement social et environnemental. Et de faire le point sur une stratégie à échéance 2020 visiblement en place depuis 2016, avec quatre objectifs précis : amélioration de la performance environnementale des produits, déploiement des meilleurs standards dans les filières d’approvisionnement, amélioration des indicateurs clés de l’efficacité environnementale pour tous les sites et réduction des émissions de CO2.
La charte relative au bien-être animal : elle contient trois engagements, la traçabilité totale des chaînes d’approvisionnement sécurisée en blockchain, avec un objectif à 100 % de traçabilité en 2025 ; les conditions d’élevage et de piégeage des animaux ; et le respect des populations locales, de l’environnement et de la biodiversité. Dans ce cadre, recherches et projets scientifiques seront pilotés et financés par LVMH. La prise de participation dans des marques éco-innovantes comme Stella Mccartney et Gabriela Hearst (qui a présenté à New York en septembre 2019 son premier show “carbon neutral” en collaboration avec le consultant Eco Act).
La collaboration avec la “Solar Impulse Foundation” pour le développement de nouvelles technologies en faveur de l’environnement.
PVH: LES PAYS-BAS AVANCENT EN ÉCLAIREURS
“Campus of the Future” : le groupe américain, propriétaire entre autres des marques Tommy Hilfiger et Calvin Klein, a fait de ses headquarters européens d’amsterdam un modèle de responsabilité sociale d’entreprise : température, qualité de l’air, lumière, espace, design… Tout y a été pensé pour le bien-être des employés.
Programme “Forward Fashion” : annoncé au dernier Fashion Summit de Copenhague par Emanuel Chirico, CEO de PVH, il regroupe une série d’engagements du groupe autour de trois axes : la réduction à zéro de son impact environnemental, la hausse de 100 % de son impact positif, et l’assistance d’un million de personnes tout au long de la chaîne de production. D’ici à 2025 : objectif zéro produit chimique dangereux dans le processus de fabrication, réduction de 30 % des émissions de dioxyde de carbone dans la chaîne de production, production 100 % circulaire de trois produits best-sellers, avec traçabilité totale des matériaux, sourcing éco-responsable obligatoire pour tous les cotons et viscoses, élection démocratique de tous les représentants des employés du groupe dans le monde. D’ici à 2030 : équipement en énergie renouvelable et objectif zéro déchet pour tous ses bureaux, entrepôts et boutiques, mise en place de programmes de développement professionnel pour 500 000 femmes employées dans le monde, exhortation des fournisseurs à garantir et dépasser les objectifs environnementaux du groupe.
Transports : signature, en partenariat avec L’ONG Ocean Conservancy, du “Arctic Shipping Corporate Pledge”, accord qui interdit tout transport de marchandises du groupe par voie maritime Arctique fragilisant son écosystème.
Matériaux : 100 % de sourcing responsable pour le coton et le viscose d’ici à 2025, et le polyester d’ici à 2030, dans toutes les marques PVH. PVH Denim Center : laboratoire de recherche-développement spécialisé dans l’optimisation des circuits de production, afin de les rendre plus courts, plus cohérents et plus écologiques.
Création digitale : lire l’article “En mode virtuelle” dans ce dossier.
ZEGNA : UN SIÈCLE D’ENGAGEMENT
Publication d’un manifeste, nouvelle campagne institutionnelle, programme de création responsable, signature du Fashion Pact… La maison italienne Ermenegildo Zegna a aussi réaffirmé l’an dernier son engagement en matière de développement durable. Un engagement qui, depuis plus d’un siècle, fait partie des valeurs fondatrices de l’entreprise, et ce bien au-delà de la mode, avec notamment le projet Oasi Zegna. Aujourd’hui, ses programmes #Whatmakesaman et #Usetheexisting fédèrent à eux deux toute nouvelle dynamique à l’interne, autour de la responsabilité sociale et environnementale de la marque.
PRADA : L’IMPLICATION ULTRA INNOVANTE
Programme “Re-nylon” : en juin 2019, la maison italienne a lancé une collection pérenne de vêtements et accessoires en nylon Econyl, un matériau recyclé et recyclable à l’infini sans jamais perdre en qualité, créé à partir de fibres textiles usagées et de déchets plastiques récupérés des océans, retraités grâce à un processus de dépolymérisation et de repolymérisation. Avec pour objectif que l’ensemble des produits de la marque actuellement fabriqués en nylon synthétique le soient en Econyl d’ici à fin 2021.
Conférence “Shaping a Sustainable Future Society” : la 3e édition a eu lieu en novembre à New York. Cette conférence annuelle financée par Prada Group réunit une série de tables rondes autour des thèmes de l’innovation en matière de développement durable, d’inclusivité et de promotion de la responsabilité sociale et environnementale en entreprise. Prêt bancaire : Prada est la première marque de mode luxe à avoir contracté un prêt à terme durable auprès du groupe Crédit Agricole : 50 millions d’euros sur cinq ans à intérêts dégressifs. La banque s’engage à ajuster annuellement le taux d’intérêt en fonction de l’accomplissement d’objectifs écologiques. Formation du personnel, labellisation de magasins en LEED Gold ou Platinum et utilisation de Prada Re-nylon seront ainsi comptabilisées chaque année.
Le Fashion Pact : Prada fait partie des 32 premières marques à s’être engagée auprès du Groupe Kering, avec entre autres pour objectif “zéro émission à échéance 2050”.
Éducation : Prada soutient avec l’unesco un programme auprès des élèves du secondaire sur le thème du développement durable et de l’économie circulaire pour protéger les océans. Ce programme mené dans un réseau mondial de collèges et de lycées se déroule sur quatre mois, de février à mai 2020.