BETWEEN US - MOHAMED BOUROUISSA ET LALA &CE
“La vie, c’est l’art des rencontres”, estimait le poète brésilien Vinicius de Moraes. Celle de l’artiste le plus passionnant de sa génération, Mohamed Bourouissa, et de la chanteuse Lala &ce, dont le premier album tutoie déjà les étoiles, était ainsi inéluctable.
Comment vous connaissez-vous ?
L’OFFICIEL HOMMES : On s’est rencontrés fin 2020 sur un shooting
LALA &CE : Helmut Lang. C’est grâce à Helena (Tejedor, la
MOHAMED BOUROUISSA : styliste, qui a également signé le stylisme de ce shooting, ndlr) qui l’avait réalisé. Je connaissais le travail de Lala, je la suivais depuis un moment. J’étais emballé à l’idée de la rencontrer.
Honnêtement, je n’étais pas familière du travail de L& : Mohamed. Je suis désormais très fan, surtout de la série Urban Riders. Tu as vu comme il a inspiré une campagne Adidas ?
J’aime pas trop dire que j’ai influencé tel ou tel truc. MB :
Mais j’ai peut-être fait découvrir cet aspect de la culture américaine. On ne pourra pas dire que j’ai surfé sur la tendance. J’ai commencé à m’y intéresser vers 2013-2014, c’était super important pour moi de travailler sur les cow-boys noirs américains, à Philadelphie. Ce n’est pas un mouvement récent, il existe depuis longtemps. L’imaginaire du cow-boy ne se limite pas à John Wayne, cette culture appartient aussi aux communautés hispaniques et afro-américaines. Il était essentiel de la rendre visible et de dépasser le whitewashing
opéré par Hollywood. Je voulais déconstruire cette fabrication. Et toi, comment tu travailles tes morceaux ? Je suis frappé par le fait que finalement les mots ne sont pas si importants, ce qui importe c’est la vibe, la texture, la sensation…
J’ai toujours fait comme ça, j’aime bien la profondeur, la L& : vibe comme tu dis. J’ai du mal à me dire qu’un morceau est fini, je pourrais le travailler indéfiniment. Je ne le lâche que lorsque je dois le rendre !
Et toi, Mohamed, tu as le même rapport à la création ?
L’OH : La différence, c’est que j’ai des deadlines à tenir et je MB : dois être prêt pour le jour de l’inauguration de l’exposition… mais à mes yeux, le travail n’est jamais vraiment fini. Une exposition, même si j’en suis content, est seulement une étape de l’aventure, avant d’imaginer autre chose.
C’est exactement ça, c’est pour cette raison que j’avais L& : parfois du mal à finir un morceau, avant de comprendre que c’est pour passer à autre chose.
Vous avez une idée de ce qui vous rapproche ?
L’OH : Peut-être notre bagage culturel, par exemple l’amour du MB : rap et de toute la culture autour. Je pense qu’on est aussi très différents, son univers n’est pas identique au mien, mais il y a peut-être des sensations analogues. Je suis heureux de faire ces photos avec Lala, mais il n’y a pas de filiation directe. Il y a un respect mutuel de nos démarches, on se reconnaît dans nos travaux. Sur la question de l’entourage, de l’amitié, je crois qu’on se ressemble aussi.
Complètement. Ce que tu fais me parle beaucoup. Et
L& : j’adore ta façon de travailler, de tout préparer en amont, et de te laisser inspirer par le moment, d’avoir la liberté d’improviser.
J’essaie de toujours laisser à l’autre une place pour exister, MB : de ne rien imposer.
Pour revenir à vos processus créatifs, vous préférez travailler
L’OH : en solo ou vous entourer d’un collectif pour vous nourrir d’autres idées ?
Ça dépend du morceau. J’aime bien enregistrer seule dans L& : ma chambre, notamment les titres un peu brumeux. Pour d’autres, j’aime bien avoir des musiciens avec moi.
Pareil, c’est une question de projet. Sur Horse Day, il y MB : avait beaucoup de gens. Sur Temps mort, c’était plus intimiste.
C’est important pour vous de porter un message politique,
L’OH : sociologique ?
Je ne sais pas si c’est un devoir… On ne peut pas se forcer, L& : sinon on aligne des clichés. Mon message, c’est l’amour. Mais par le fait que j’aime les filles, cela peut devenir politique.
Je pense la même chose. Parler de ce qui nous entoure est
MB : obligatoirement politique, parce que tu fais partie de la cité, au sens grec du terme. Mais ce qu’on essaie de faire, c’est de l’art, de la poésie. Je viens de créer une boîte de production, et je vais produire le premier film d’un jeune de mon quartier, c’est aussi une façon de faire de la politique, sans faire de la politique directement.
J’ai aussi monté un label, j’ai toujours eu envie de faire L& : découvrir d’autres artistes.
Avant la sortie d’un disque ou le jour de l’inauguration
L’OH : d’une exposition, quel est le sentiment qui prédomine ?
J’ai tellement hâte! Pas de peur, le disque est fait… Tu L& : n’es pas stressé lorsque tu vois les gens regarder ton oeuvre ?
Jusqu’au vernissage, j’ai des montées de stress dingues! MB : J’essaie d’expliquer mon travail au mieux, car que je ne fais jamais la même chose, et d’être en accord avec ce que je suis et mon évolution. Une fois le vernissage passé, ça va…
Quel est votre regard sur la mode ?
L’OH : En plus de la campagne Helmut Lang, j’ai travaillé avec
MB : Virgil Abloh. C’est l’occasion de rencontrer plein d’autres gens, extérieurs au monde de l’art. C’est aussi l’opportunité d’avoir une pratique appliquée, d’essayer autre chose, c’est intéressant, comme un nouveau terrain de jeu. Et toi, Lala, tu aimes ce jeu de porter des vêtements ?
Grave ! C’est un peu un jeu de rôles, tu peux te réinventer. L& :
CI-DESSUS, LALA : Total look, LOUIS VUITTON. Montre et bague, CARTIER.
PAGE DE GAUCHE, SID : Veste et pantalon, LANVIN. Top, COURRÈGES.
Lunettes de soleil, SAINT LAURENT PAR ANTHONY VACCARELLO. Boucles d’oreilles, SAFU. Boots, perso. LALA : Total look, FENDI. MAG : Total look, GIVENCHY.
Coiffure : Shenna. Maquillage : Oldie.
Assistant photo : Nicolas Brasseur. Assistante stylisme : Ophélie Cozette.
Qu’est-ce qui vous inspire ?
L’OH : Ce qui m’arrive, les histoires d’amour, les soirées… C’est L& : plutôt introspectif. Parfois, je filtre, je code… Par exemple, je passe des phrases à l’envers…
Je comprends ce que tu dis. J’ai réalisé un projet autour MB : du porno, des images, des algorithmes. C’était compliqué à aborder, mais c’était intéressant à traiter.
Qu’est-ce que vous aimez le plus chez l’un-e et chez l’autre ?
L’OH : Tes chaussettes! Non, ce que j’aime le plus chez Lala,
MB : c’est sa musique, et aussi l’esprit qu’elle amène dans un monde du rap très masculin.
J’aime vraiment ton travail, ta façon de faire. Lorsqu’on L& :
s’est rencontrés sur le projet Helmut Lang, j’étais crevée, mais tu as su faire en sorte que tout se passe bien.
Vous avez d’autres projets ensemble ? L’OH : Peut-être…
L& : On y réfléchit… MB :
Plus d’infos : mohamedbourouissa.com kamelmennour.com/artists/mohamed-bourouissa Lala &ce : Album Everything Tasteful (&ce Recless).
“ON NE PEUT PAS SE forcer, SINON ON ALIGNE DES clichés. MON MESSAGE, C’EST l’amour. MAIS PAR LE FAIT QUE J’AIME LES filles, CELA peut DEVENIR POLITIQUE.”