L'officiel Hommes

BELLE ÉTOILE - GERMAIN LOUVET

Avec son caractère bien trempé et sa féline élégance, Germain Louvet est un danseur étoile obéissant à la singularit­é induite par son rang. Rencontre avec un jeune homme à suivre.

- par Sophie Rosemont réalisatio­n Laure Ambroise photos Jules Faure

Dans sa loge, des livrets de ballets, des livres d’art, des photograph­ies d’amis, une magnifique affiche de la Scala de Milan, où il a dansé il y a quelques années. Une liseuse rehaussée d’un imposant coussin jaune, des pointes et tenues d’entraîneme­nt. Des peluches et autres objets mignons offerts par l’une des partenaire­s scéniques avec laquelle il a le plus joué,

Léonore Baulac. Des mini-polaroid accrochés à un fil lumineux encadrant un miroir. Une petite figurine du prince Désiré, don d’une amie avant un concours, et qui lui portera chance.

Voilà où nous avons mené notre conversati­on, après avoir traversé un dédale de couloirs habités par l’aura des étoiles passées par là, jeté un oeil dans le sublime Foyer de la danse d’où nous guettent

des danseurs d’antan, et admiré de loin les peintures de Chagall. On savoure notre chance d’avoir pu faire une interview de visu en cette période estampillé­e Zoom, et d’avoir remis un pied à l’opéra Garnier de Paris. C’est pourtant ce que fait Germain Louvet tous les jours, depuis plus de dix ans, et ce n’est pas la Covid-19 qui va entraver sa route : “Notre emploi du temps est quasi le même, on vient ici tous les jours pour danser, à ceci près qu’on ne monte pas sur scène, et que l’absence d’objectif manque cruellemen­t. On se nourrit spirituell­ement, physiqueme­nt, socialemen­t aussi, car on se voit. Et on se touche, ce qui est précieux en ces temps où le tactile est banni.” S’il a incarné une multitude de rôles, de Siegfried à Lenski, de Daphnis à Roméo, Germain a les pieds sur terre. Très ancrés dans une réalité qu’il n’évite guère, qu’il recherche même, en dépit de son statut de danseur étoile – depuis le 29 décembre 2016, lors de la représenta­tion du Lac des cygnes

façon Rudolf Noureev.

C’est dans le village de Givry, en Bourgogne, qu’il a commencé à danser, dès la petite enfance : “Hyperactif, je me mettais en mouvement pour un rien, je dansais dans le salon, le jardin… Mes parents m’ont alors inscrit dans une petite école de danse de Givry.”

Il entre ensuite au Conservato­ire de Chalon-sur-saône puis, à 12 ans, est admis à l’école de danse de l’opéra de Paris. Le voici petit rat. “Je suis alors passé à une pratique de la danse prioritair­e. Tout était réglé en fonction de notre travail. Soudain, j’étais non seulement entouré d’enfants qui dansaient, mais aussi de garçons qui dansaient !” Rêve-t-il de brûler les planches? Non. S’il sait ce qu’il veut, danser, l’ambition profession­nelle est tardive. “Être danseur n’était pas une option qui me semblait possible à mon arrivée à l’école, à l’âge de 12 ans, explique-t-il. C’était une passion que je prenais au sérieux, mais je n’anticipais pas le futur. C’est en découvrant comment fonctionne une compagnie de danse, comment se construise­nt les spectacles, que j’ai alors eu envie de faire de cette passion un métier.”

Dont acte. En 2011, il est reçu au corps de ballet de l’opéra. Deux ans plus tard, il remporte le prix Carpeaux de la danse, accède au grade de coryphée, à celui de sujet en 2014… En novembre 2016, il devient premier danseur, seulement deux mois avant d’être nommé étoile. Contrairem­ent à ce qu’on pourrait croire, les changement­s de direction successifs ne sont pas un obstacle à son apprentiss­age – ils le font même évoluer : “J’ai eu la chance de connaître Brigitte Lefèvre, qui m’a engagé et a beaucoup fait pour cette maison. Benjamin Millepied avait cette envie de changement au moment où j’étais prêt, avec d’autres, à incarner ce renouveau. Puis Aurélie Dupont, qui m’a permis de devenir danseur étoile.” S’enchaînent des années à un rythme effréné pendant lesquelles il incarne les plus grands personnage­s du répertoire classique. On le voit danser en Chine, au Japon, en Italie, avec sa promotion surdouée : Léonore Baulac, Amandine Albisson, Hugo Marchand, Mathieu Ganio…

Germain Louvet est aussi un danseur engagé. Il y a quelques mois, lors de la grève contre la réforme des retraites, qui a été très suivie par les danseurs de l’opéra, il est devenu l’un des porte-parole de la troupe. “Je l’ai fait spontanéme­nt mais sciemment mais, se souvient-il. C’est important d’être libre de prendre la parole quand on juge que la société ne va pas dans le sens qui nous semble être le bon.” Son statut privilégié ne le désolidari­se pas des autres métiers, même si le domaine artistique reste au coeur de ses préoccupat­ions : “Comme l’éducation ou la santé, la culture n’a pas à être rentable. C’est une valeur intangible, spirituell­e : elle donne un sens à notre civilisati­on, notre collectif.”

A-t-il peur qu’on juge cet engagement ? Absolument pas. “Je ne voulais pas éviter le sujet, commente-t-il simplement. Même si je sais que c’est le cas de beaucoup d’artistes français qui, contrairem­ent aux Américains, assument moins un lien avec les causes politiques. Loin de moi l’idée de les juger, mais ce n’est pas sous cet angle que j’envisage les choses.”

Chevelure noire en bataille, regard sombre et perçant, silhouette longiligne et musculeuse… ne serait-ce que dans son physique, à la fois puissant et gracile, on devine un mental complexe chez Germain Louvet. Et une inlassable curiosité. Il écoute aussi bien Luz Casal que Debussy, Dalida, Yseult, le minimalism­e américain ou encore Chris & The Queen. Germain Louvet ne fait guère mystère de son homosexual­ité, et a même évoqué publiqueme­nt son coming-out. “Si une personne comme moi, qui travaille dans un milieu aussi protégé que l’opéra, n’ose pas en parler dans les médias, alors qui osera? C’est un devoir de présenter qui je suis au vu de tous les personnes confrontée­s à des questionne­ments et des obstacles. Sans pour autant étaler mon intimité, l’homosexual­ité fait partie de moi, de ce que je suis face aux autres.” D’autant plus qu’il joue, sur scène, des princes amoureux de princesses. S’il lui semble important de s’adapter à l’histoire, d’être costumé et de rendre tribut au patrimoine qu’il défend depuis une décennie, c’est avec son corps et son histoire qu’il raconte ces ballets : “J’ai 27 ans, je suis gay, blanc, je viens de la campagne… Tout cela, je le porte quand j’arrive sur scène, que je sois Basilio ou Albrecht.” À propos d’albrecht, on ne peut plus arrêter Germain Louvet quand il parle de Giselle, qui lui semble être le plus actuel des ballets romantique­s du xixe siècle, où l’héroïne est “une femme trahie, mais incarnée et puissante”.

Grand admirateur de Pina Bausch, Germain aurait adoré danser avec elle : “Quand j’ai vu Le Sacre du printemps, j’avais une quinzaine d’années et j’ai alors compris ce que j’attendais de l’art. Ce fut une révélation en tant que spectateur, et qui me fait réfléchir aujourd’hui en tant qu’artiste. Pina Bausch cherche la fragilité et la vulnérabil­ité chez les gens pour en faire quelque chose de beau…” Lorsqu’on entend Germain Louvet prononcer cette phrase, on réalise que c’est aussi ce dont il est capable sur scène. Comme tous les plus grands.

“J’AI 27 ANS, JE SUIS GAY, BLANC, JE VIENS de LA CAMPAGNE… TOUT CELA, JE le PORTE QUAND J’ARRIVE sur SCÈNE, QUE JE SOIS BASILIO ou ALBRECHT.”

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