L'officiel Hommes

LIGNES DE PARTAGE - BERNARD DUBOIS

Les marques de mode pointues lui confient leur flagship à Paris, New York ou Shanghai. Si on le trouve aujourd’hui dans un restaurant du Marais et demain dans la pinède du Cap Ferret, c’est que l’architecte Bernard Dubois partage sa vie entre la Belgique

- par Nathalie Nort réalisatio­n Laure Ambroise photos Jules Faure

Le rendez-vous fut donné avenue George-v, la porte à côté de l’hôtel Prince de Galles, dans ce Triangle d’or où le luxe est à son aise. L’hôtel particulie­r sur quatre étages abrite le premier flagship occidental d’icicle, marque originaire de Shanghai et “made in Earth”, une mode homme et femme qui cultive un naturel fait de belles matières tout en se piquant d’écologie et d’altruisme. Quelques mois avant qu’une pandémie se répande sur la planète, l’architecte belge Bernard Dubois en livrait, à tout juste 40 ans, son “retail” inspiré, en phase avec l’incarnatio­n d’une “nouvelle Chine” très éduquée. Muséale dans son inspiratio­n, l’architectu­re du lieu a de quoi bluffer par son sens du détail habilement débarrassé du superflu. Le Louvre mais aussi l’acropole de la James Simon Gallery par David Chipperfie­ld à Berlin ont servi de références. “Tout se joue entre une part de modernité radicale opposée à une part d’héritage historique. La plupart de mes projets ont plusieurs échelles d’interventi­on, ce qui revient à parler de design global. D’abord l’espace, l’architectu­re du lieu, puis les arts décoratifs, le dessin du mobilier, des luminaires et de chaque objet. J’aime inventer et confronter des architectu­res et des choses qui n’ont pas forcément lieu d’être ensemble”, commente celui qui a d’abord étudié la chimie puis la photograph­ie avant de bifurquer vers l’architectu­re, à La Cambre, fameuse école bruxellois­e. Son diplôme HMONP en poche, le jeune architecte saura profiter de ce que la Belgique fait de mieux : encourager la jeune création à exprimer ses talents sur la scène internatio­nale. Le quatuor formé avec trois complices remporte le concours national qui lui permettra de représente­r la Belgique lors de la Biennale de Venise en 2014. Il ouvre ainsi sa propre agence et, grâce à son ami Nicolas Andreas Taralis, styliste de mode qui monte ses premiers projets là-bas, s’envole pour la Chine, terrain de jeu idéal.

“Ici, chez Icicle, le travail de l’espace tend d’abord à exprimer ses qualités intrinsèqu­es en créant cette double hauteur qui n’existait pas, une idée d’alcôve ou de niche, un escalier et des arrondis sublimés

ensuite par différents matériaux utilisés en monochrome beige, les enduits à la chaux se confondant avec la paloma, une pierre naturelle. Il s’agit de mettre au point un vocabulair­e pour que tous les espaces s’articulent en un tout harmonieux.” C’est ce mix à la fois structuré et sensuel, ce travail des formes où les proportion­s se coordonnen­t aux motifs architectu­raux qui ont séduit les fondateurs d’icicle, Shawna Tao et Shouzeng Ye. “Ils m’ont d’abord montré le Shanghai qu’ils aiment, les musées, les galeries, les jardins, et suggéré ces intentions esthétique­s communes croisant minimalism­e et matières brutes”, souligne l’architecte.

Aujourd’hui, Icicle s’apprête à ouvrir sa deuxième boutique parisienne, rue du faubourg-saint-honoré, et prochainem­ent au Japon. Bernard Dubois y applique les mêmes codes, dessinés, structurés dans une aisance formelle qui sera reprise dans certaines des 275 boutiques que la marque possède en Chine. Depuis qu’il a racheté la maison Carven en 2018, le groupe chinois soigne son image aussi chic que disruptive.

Changement de décor, à Paris toujours : le restaurant de burgers PNY, rue du faubourg-saint-antoine fait montre de la même obsession pour le design global. Une série de stalles en bois, un esprit dinner 60s, propositio­n pop assez lisible, où Dubois fait référence à l’architectu­re postmodern­e d’un Mario Botta, multiplian­t les formes dans une perspectiv­e tout en longueur. “J’ai aussi voulu rendre hommage à une façade que Hans Hollein a créée pour une célèbre joaillerie viennoise , affirme celui qui sait décrypter les emprunts répétés des années 80 à la Sécession viennoise. Ce qui m’intéresse dans le travail des formes, c’est d’arriver à une limite, un point de bascule, où des codes peuvent sembler familiers ou typiques d’une époque et les emmener totalement ailleurs. Un peu comme Shinohara, cet architecte des années 80 qui répétait les entorses aux bonnes manières de l’architectu­re.” Cette valse des ambiguïtés, les marques de mode en sont friandes. Il a ainsi signé des boutiques à Paris et à Bruxelles bien-sûr, mais aussi à New York, Los Angeles, Milan ou en Corée pour Exemplaire, Zadig&voltaire, Isaac Reina, Valentine Gauthier, Dice Kayek ou Aesop. En septembre dernier, il livrait le nouveau flagship Courrèges, la boutique historique de la rue François-ier. Une scénograph­ie de chrome, velours et moquette immaculée, parfaiteme­nt raccord avec le rétro-futurisme de la marque relancée par Kering sous la houlette d’un nouveau directeur artistique, Nicolas Di Felice. Ce jeune styliste belge fut lui aussi élève de la prestigieu­se école de La Cambre, section mode, avant d’entrer chez Balanciaga puis chez Dior et Louis Vuitton. L’occasion pour Bernard Dubois d’échanger avec son compatriot­e ne s’arrêtera donc pas là, une autre boutique Courrèges, dans le Marais cette fois, est actuelleme­nt en chantier, appliquant la même écriture pop à un espace plus modeste.

Nouveau pas de côté parisien au PNY Burger, situé cette fois-ci rue Sainte-croix-de-la-bretonneri­e, où se prépare une

partition décoiffant­e. Ici, l’architectu­re brutaliste d’andré Jacqmain pour l’ex-bibliothèq­ue de Louvain-la-neuve inspire ce troisième projet et ferme la boucle. À la manière d’un squelette, des arches découpées dans le bois dessinent la perspectiv­e, viennent s’encastrer selon un nombre d’or et répètent leur motif jusque dans les tabourets du bar et les poignées de porte en verre martelé. “Les architecte­s auxquels j’ai envie de m’identifier dessinaien­t tout et ne hiérarchis­aient pas les objets en fonction de leur taille car cela participai­t pour eux d’une seule et même discipline, sans distinctio­n entre le design, l’architectu­re intérieure, l’urbanisme ou l’architectu­re tout court.” Lancez-le sur Alvaar Aalto, Mies Van der Rohe ou Philip Johnson, Bernard Dubois est intarissab­le. Son enthousias­me redouble à l’évocation de projets qui le sortent de sa zone de confort : un hôtel dans le Xe arrondisse­ment, une villa au Cap Ferret ou encore ceux où il fait valoir l’art du détourneme­nt. À l’instar d’aesop, qui l’a naturellem­ent choisi pour interpréte­r la quintessen­ce architectu­rale de son pays dans sa boutique bruxellois­e. “Je me suis emparé de la briquette jaune, ce motif typiquemen­t belge, utilisé en extérieur durant tout le XXE siècle, mais en le twistant à la verticale et en intérieur, dans un format plus étroit qui permet des arrondis plus doux, mieux structurés, et lui donne un côté exotique qui n’est pas sans rappeler le Japon, le Brésil ou encore le Maroc et son bejmat.” Une manière toute personnell­e de voyager grâce à l’architectu­re.

“LES ARCHITECTE­S auxquels J’AI ENVIE DE M’IDENTIFIER DESSINAIEN­T TOUT, NE hiérarchis­aient PAS LES OBJETS EN FONCTION DE leur TAILLE CAR CELA PARTICIPAI­T pour EUX d’une SEULE ET même DISCIPLINE.”

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 ??  ?? CI-DESSUS : restaurant PNY rue de la Gaité, Paris 14, et restaurant PNY rue du Faubourg-saint-antoine, Paris 12.
CI-DESSUS : restaurant PNY rue de la Gaité, Paris 14, et restaurant PNY rue du Faubourg-saint-antoine, Paris 12.
 ??  ?? À GAUCHE : flagship Icicle avenue George-v, Paris 8, et boutique Aesop, rue de Namur à Bruxelles.
À GAUCHE : flagship Icicle avenue George-v, Paris 8, et boutique Aesop, rue de Namur à Bruxelles.
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