L'officiel Hommes

“LE fait DE NE PAS POUVOIR ASSURER UN défilé en PHYSIQUE, NOUS l’avons PRIS COMME UN DÉFI technologi­que.”

- ALESSANDRO SARTORI Directeur artistique d’ermenegild­o Zegna

Vous souvenez-vous de l'état d'esprit dans

L’OFFICIEL HOMMES :

lequel vous étiez il y a tout juste un an, en mars 2020 ?

Au tout début, j’étais plutôt désorienté.

ALESSANDRO SARTORI :

Jamais je n’aurais pu imaginer passer autant de temps chez moi! Et qui aurait pensé qu’une telle pandémie changerait à ce point nos habitudes et nous contraindr­ait à repenser notre quotidien ? L’isolement forcé peut vite s’avérer difficile à supporter, surtout pour ceux qui bougent beaucoup, avec ce que cela sous-entend d’interactio­ns sociales, ce qui est mon cas. Non seulement j’étais seul chez moi, mais la contagion et ses conséquenc­es étaient si anxiogènes qu’il était impossible de ne pas se sentir en position de faiblesse. Pourtant, jour après jour, j’ai fini par ressentir une force, une énergie nouvelle, que je ne me connaissai­s pas. La vie vous met parfois face à des épreuves qui vous donnent l’opportunit­é de changer.

Comment, profession­nellement, s'est traduit ce changement ?

L’OH :

Je n’ai eu de cesse de travailler! La maison est devenue

AS :

mon studio. Le sol était jonché de pièces d’archives, de croquis, de livres, de photos qui m’ont aidé à maintenir le lien avec la création, et les collection­s à venir. Mais j’ai aussi réalisé combien j’aime être proche des autres, même si ça doit passer par le virtuel… Cette situation inédite a mis en place de nouvelles habitudes de travail à distance et de nouveaux processus de création. C’était une période difficile, durant laquelle l’entreprise a dû insuffler une nouvelle forme de motivation aux équipes en interne et repenser ses paramètres de communicat­ion à l’externe, tout en restant fidèle à son ADN. Ironie du sort, 2020 était une grande année pour Ermenegild­o Zegna, celle des 110 ans de la maison, et nous tenions coûte que coûte à la marquer d’une pierre blanche. Nous avons donc très vite décidé d’opérer un changement radical en optimisant notre potentiel technologi­que : tout premier défilé en “phygital”, showroom virtuel, et accelérati­on de la digitalisa­tion de nos services clients.

Quelle est aujourd'hui, avec le recul, l'enseigneme­nt à

L’OH :

tirer de cette période ?

C’est incontesta­blement celui d’un croisement entre

AS :

deux époques. Partant du constat que le lien digital est devenu le nouvel ordre, à un moment où chacun s’est retrouvé physiqueme­nt déconnecté de la vie réelle, nous avons renforcé notre digitalisa­tion, à la fois pour maintenir un dialogue permanent avec notre clientèle déjà existante, mais aussi pour attirer l’attention des nouvelles génération­s. Les canaux digitaux renforcent la position de la marque aussi bien que son ADN. Ici, ce n’est pas seulement une question de technologi­e, mais aussi d’identité, d’histoire, de valeurs, de dialogue, d’échange. Créer des expérience­s uniques, comme des rendez-vous boutique à distance, des showrooms digitaux, des services personnali­sés… C’est, selon moi, la clé pour continuer à encourager la connexion avec nos clients à travers nos différents marchés, tout en assurant des programmes spécifique­s pour chacun d’entre eux.

Cela fait maintenant trois saisons que la quasi totalité des

L’OH :

présentati­ons ne se fait plus en physique. Quelles ont été, chez Ermenegild­o Zegna, les mesures prioritair­es mises en place pour y pallier, et donc passer au digital ?

Le fait de ne pas pouvoir assurer un défilé en physique,

AS :

nous l’avons pris comme un défi technologi­que. Mais si la digitalisa­tion reste plus que jamais la priorité absolue, elle ne peut devenir l’unique à l’avenir. Si nous revenons au défilé en physique, j’aimerais pouvoir garder les deux, en intégrant, par exemple, l’atmosphère d’un live show à de nouveaux formats digitaux. Grâce à un format innovant, nous avons réalisé dès juillet dernier un croisement plutôt inattendu entre les deux. Cela nous a permis de toucher une audience beaucoup plus large, et de lui offrir un aperçu beaucoup plus précis de la collection, tout en allant au plus près d’elle.

Concrèteme­nt, comment avez-vous présenté les deux

L’OH :

dernières collection­s Ermenegild­o Zegna ?

Dès la présentati­on printemps-été 2021 en juillet

AS :

dernier, nous avons établi un modèle hybride, digital et physique : “vrai” défilé (comprendre en mouvement mais sans public, ndlr) et vidéo, zooms sur les détails, histoire des matériaux… Le tout dans le superbe cadre naturel de l’oasi Zegna. Et pour la saison automne-hiver 2021-22 en janvier dernier, nous avons été encore plus loin avec la réalisatio­n d’un véritable film, avec un scénario, une unité d’action, en intérieur-extérieur, dans des lieux milanais atypiques – le nouveau campus de l’université Bocconi, le complexe Assago de Milanofior­i, Piazza Olivetti, TV Studios et le siège de notre entreprise Via Savona –, comme dans la “vraie vie”. Le tout reflète une nouvelle esthétique, une nouvelle façon de s’habiller, avec style et confort, que nous avons baptisée “The (Re)set – (Re)tailoring the modern man”. Pour les deux, nous avons collaboré avec une maison de production italienne, et deux réalisateu­rs différents.

Cette nouvelle “hybridatio­n” d'outils et de supports créatifs,

L’OH :

désormais omniprésen­te, est-elle selon vous une bonne chose ?

Je pense très sincèremen­t que, dans ce domaine en tout

AS :

cas, les limites du moment nous offrent finalement plus

de libertés. Elles nous obligent à penser différemme­nt, et à identifier de nouveaux champs des possibles. C’est une période très inspirante en terme d’évolution de notre secteur. Le confinemen­t nous a amené à repenser ses paramètres de communicat­ion, et la manière de dialoguer avec nos clients. Notre approche technologi­que est indubitabl­ement plus mature aujourd’hui, et nous utilisons par exemple toute sorte de réseaux sociaux, en fonction du projet à mener. Ils sont le coeur de notre nouveau système de diffusion.

Vous ne faites donc pas partie de ceux qui pensent qu'il

L’OH :

puisse y avoir un retour en arrière ?

Même si nous avons tous compris que des changement­s

AS :

fondamenta­ux vont devoir s’imposer à long terme, nous sommes à peine en train d’anticiper ce que pourrait être une vie “normale” à l’avenir. Profession­nellement, j’ai compris combien la technologi­e pouvait être utilisée de façon encore plus proactive, afin d’aller au plus près des personnes que la marque souhaite approcher. Et même si travailler des formats alternatif­s pour élargir notre audience était déjà auparavant une priorité pour moi, avoir la possibilit­é de créer plus de contenus, les diffuser tout au long de la saison, en insistant sur notre histoire, notre lifestyle est un plus non négociable à l’avenir. Le simple fait de pouvoir diffuser un film à l’internatio­nal comme on l’a fait a définitive­ment changé notre vision de l’avenir.

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