L'officiel Hommes

Matthieu Peck

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Quel est votre incipit préféré ?

L’OFFICIEL HOMMES : “Au commenceme­nt était le Sexe. Sauveur. Chargé d’immortalit­é.

MP : Il y a la bête. Héroïque. Puissante. Et au-delà de la Bête il n’y a rien. Rien sinon Dieu Lui-même. Magnifique et pesant. Avec son oeil de glace. Rond. Statique. Démesuréme­nt profond. Fixe jusqu’à l’hypnose. Tragique regard d’oiseau. Allumé et cruel. Impénétrab­le de détachemen­t. Rivé sur l’infini d’où tout arrive.” Septentrio­n, de Louis Calaferte. “Il faudrait être fou et ce n’est pas facile”, dit-il, cette oeuvre y est parvenue.

Quel est votre premier souvenir de lecture ?

L’OH : Il est perdu quelque part dans des temps détruits. Je laisse

MP : ces amnésies où elles sont.

Écriviez-vous, enfant, adolescent, à des auteurs? Et, si oui,

L’OH : receviez-vous des réponses ? Non. Enfant, adolescent, on rêve d’abord d’action. On rêve

MP : de grandeur, ou de changer le monde. Rejoindre le commandant Cousteau ou armer une révolution. Plus jeune, ce sont d’abord les histoires qui importent, pas ceux qui les écrivent.

Écrivez-vous en silence, en musique, à l’aube, la nuit?

L’OH : J’écris par périodes, toujours en silence. Aube. Nuit. Peu

MP : importe. C’est plutôt de se mettre dans l’état d’écrire qui est complexe. Se rendre entièremen­t disponible dans cette dilatation étrange du temps.

À l’instar de Tom Wolfe, mettez-vous un costume pour écrire?

L’OH : Même si l’on parle d’abord de nous-mêmes, c’est souvent

MP : le costume de quelqu’un d’autre que l’on revêt quand on écrit. J’aime l’élégance bancale. L’ourlet trop long et la veste de travers. Ces miettes de tabac dans les coutures. Je laisse la littératur­e propre et repassée à ceux qui pensent que la réalité sent la lessive.

Pouvez-vous me décrire votre espace de travail ?

L’OH : Je crois que si je rêvais d’abord de devenir reporter de

MP : guerre, c’était pour l’idée romantique d’écrire sur des morceaux de papier froissés, dans un coin de conflit et sous un ciel de poussière. J’aimais l’idée de la beauté dans le désastre. Ce n’est pas original mais je pense souvent à l’atelier de Francis Bacon. Le chaos est à l’image de nos pensées indomptabl­es. En cela, l’ordre est terrifiant. Il faut se méfier de ceux chez qui rien ne dépasse. Je fais toujours en sorte que mon bureau ne ressemble à rien d’autre qu’à rien.

Avez-vous un destinatai­re à l’esprit quand vous commencez

L’OH : l’écriture d’un livre? J’aime beaucoup imaginer que certains de mes ennemis,

MP : au sens éthique de la chose, liront quelques pages qui leur sont destinées. C’est important, les ennemis. En tant que lecteur, une des fonctions fondamenta­les de la littératur­e est l’effet miroir. Remettre chacun devant ses vérités par l’ironie est un but honorable. Pour autant, la cible véritable est toujours à l’intérieur de nous-mêmes.

La littératur­e et la morale, l’ambition formelle et la politique,

L’OH : font-elles toujours bon ménage ?

D’une certaine manière, les livres moraux sont toujours les

MP : plus immoraux. Les récits certifiés conformes à nos attentes me paraissent plus dangereux que ceux où la chute vous aspire. On dit qu’il n’y a pour l’homme que trois évènements : naître, vivre et mourir. Il ne se sent pas naître, souffre à mourir et oublie de vivre. Les bons livres sont toujours là pour le rappeler.

Que cherchez-vous dans un livre? Mais faut-il toujours

L’OH : “chercher” quelque chose ou se laisser happer par la matière du livre ?

Si elle est honnête, la littératur­e viendra naturellem­ent

MP : chercher en nous quelque chose, que l’on cherchait ou non. À titre personnel, je suis particuliè­rement réceptif à ceux qui soulignent que l’humanité se prend trop au sérieux.

Quel est votre archaïsme favori ? Et quel néologisme

L’OH : souhaiteri­ez-vous laisser à la postérité ?

Céline disait du français qu’elle est une langue vulgaire

MP : depuis toujours. Il comparait les mots à la création d’un enfant, à un moment de délire nécessaire similaire au coït. Mon archaïsme favori est quelque part dans ce langage et sa violence nette.

C’est quoi, “bien écrire” à vos yeux?

L’OH : “Cette vie est un hôpital où chaque malade est possédé du désir de

MP : changer de lit. Celui-ci voudrait souffrir en face du poêle, et celui-là croit qu’il guérirait à côté de la fenêtre”, dit Baudelaire. Bien écrire, c’est peut-être accepter de le faire depuis la place qui est la nôtre.

À la question “pourquoi écrivez-vous?”, Beckett a répondu

L’OH : “Bon qu’à ça.” Et vous ?

Je l’ignore mais, peut-être, pour l’amour des cendriers.

MP :

À lire : Trismus, de Matthieu Peck (Éditions Bartillat, 2019).

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