Sur les traces de Rudyard Kipling
L’auteur du Livre de la jungle est mort il y a 150 ans. L’occasion de retourner sur ses pas, au centre de la péninsule indienne, où le célèbre aventurier-écrivain a imaginé l’incroyable histoire de Mowgli. D’autant plus que Taj y propose des safaris dont raffolent petits et grands.
Le camp de Baghvan édifié au bord de la rivière Pench, à sec en dehors des périodes de mousson, est situé en bordure du parc national de Pench, une des principales réserves au monde pour les tigres en liberté.
Température de l’air, 31 °C. Humidité 80 %. L’odeur de l’inde vous tombe dessus dès la descente de l’avion à Bombay. Quand déjà on ruisselle en short et en tongs, on se demande ce qu’ont dû ressentir les nouveaux arrivants britanniques il y a plus d’un siècle et demi. Comme les parents de Kipling, fraîchement débarqués du Staffordshire en 1865. Il fallait un certain cran à l’époque pour partir à l’aventure dans ces contrées hostiles. Même quand, comme Rudyard Kipling, on est né à Bombay, d’un père anglais, peintre et illustrateur, et qu’on a sillonné le sous-continent, depuis Lahore, où il était rédacteur en chef de la gazette, à la célèbre station de montagne de Shimla. “Le voyage commençait dans l’inconfort sur la route ou le rail. Il se terminait dans la fraîcheur du soir”, écrivait-il au mitan des années 1880. Aujourd’hui ce n’est pas à cheval qu’on se rend en plein centre du pays, mais en avion. Il faut deux heures (et dix degrés de plus) pour parvenir à Nagpur, cité perdue dans l’immensité du sous-continent. Et ensuite trois bonnes heures de voiture sur une route pas trop mal carrossée, puis plus carrossée du tout. Les enfants sont KO mais ébahis. Mais ils ne pipent mot. Le camp de Baghvan édifié au bord de la rivière Pench, à sec en dehors des périodes de mousson, est situé en bordure du parc national de Pench, une des principales réserves au monde pour les tigres en liberté. C’est là qu’en 1894 naissaient sous la plume de Rudyard Kipling Mowgli et tous ses amis. Les pérégrinations de l’enfant-loup se déroulent du côté de Seoni et de Chhindwara, au coeur de l’état du Madhya Pradesh. Les enfants nous croient bien naïfs de leur conter cette histoire. “Mais enfin, Mowgli, il existe pas !” L’enfant-loup ? La génération petite poucette, on ne la lui fait pas. Pourtant, on rapporte qu’un enfant-loup a bien été capturé en 1831 par le lieutenant Moor dans la forêt de Seoni. Une histoire racontée dans Seeonee, le livre semiautobiographique d’un célèbre naturaliste de l’époque, Sterndale, dont on murmure qu’il aurait fortement inspiré Kipling. De nombreux lieux des aventures de Mowgli figurent dans le parc, comme la rivière Waigunga, dans les gorges de laquelle Sher Khan est tué, ou encore le village de Kanhiwara.
À cause de l’homme et de sa soif inextinguible d’étendre son territoire en défrichant, tout semble beaucoup plus sec, désolé, que l’univers luxuriant de Mowgli.
À Baghvan, donc, le Livre de la jungle prend vie. La rivière Pench serpente à travers les collines, forêts et vallées sur plus de 1400 km2. Le sol argileux, rouge ou jaune par endroits, permet le développement de grandes étendues de teck qui n’ont rien à voir avec les décors de Walt Disney. Hormis peut-être les gros blocs de roche basaltique noire qui se désagrègent dans un sol cotonneux. À cause de l’homme et de sa soif inextinguible d’étendre son territoire en défrichant, tout semble beaucoup plus sec, désolé, que l’univers luxuriant de Mowgli. Et ça, les mômes d’aujourd’hui le comprennent parfaitement. Pas d’éléphants non plus. La vedette, comme dans le dessin animé, c’est le tigre. Et pas n’importe lequel, le Tigre du Bengale, s’il vous plaît. Ici, c’est lui le roi de la jungle. “Une quarantaine de ces gros chats carnivores se partagent le territoire. Il existe donc un pourcentage de chance assez important d’en rencontrer un au cours de votre séjour, sortant comme par enchantement d’un bosquet de bambous géants”, confie, tout sourire, notre guide. Tandis qu’on se met sur la piste des tigres, on scrute les plaines et prairies, et l’on croise des hordes de daims, de cerfs, d’antilopes, à défaut des hyènes, loups, ours, jaguars et panthères, et aussi des macaques, toujours facétieux, et des paons, qui ont quand même l’air beaucoup moins bêtes qu’à Thoiry.
Deux jours à traquer le mythique félin, mais Sher Khan n’a toujours pas montré ses babines. Pas la moindre trace dans le lit asséché des rivières où il chasse d’ordinaire, aucun pas traversant la piste. Rien. Déception contenue des garçons. Même à la tombée de la nuit dans les mares résiduelles de la mousson de l’an dernier, nous sommes bredouilles. Mais les soirées sont belles, sous les étoiles, et la nourriture indienne variée autant qu’épicée. Les loulous se rabattent sur des nans au ghee ou des plats aux saveurs les plus douces.
Tandis qu’on se met sur la piste des tigres, on scrute les plaines et prairies, et l’on croise des hordes de daims, de cerfs, d’antilopes, à défaut des hyènes, loups, ours, jaguars et panthères…
Banjaar Toola répond à l’idée qu’on se faisait du campement de Rudyard Kipling. Des chambres spacieuses, avec tout le confort moderne, leur terrasse en teck et leurs chaises safari pliantes…
Nous faisons ensuite cap vers le camp de tentes de Banjaar Toola, dans les tréfonds du parc national de Khana, à quelques six heures de route. Le paysage se métamorphose lentement. Mais il peine parfois à émerger de la poussière. Tout change, mais rien ne change, sur des centaines de kilomètres. La route, étroite, est une piste de terre rosâtre, bordée par une galerie de villages, tous pareils, et de rares arbres, banians ou marronniers. Elle se déroule à l’infini, à travers des décors toujours identiques : étendues en friche, calcinées, buissons de taillis, terres vaguement cultivées, taches de blé. Des camions ou des bus entravent continuellement notre course. Mais pas le calme relativement olympien des enfants.
La surprise, agréable, est au bout du chemin. Le camp, tout en bois, déploie ses élégantes tentes très “Raj style” autour de la rivière Poola. Il est niché sur les hauteurs des collines Satpura, qui ondulent leurs masses granitiques entre de vertes prairies, comme s’il s’agissait d’un squelette de dinosaure. Autour, des forêts de teck et un sous-bois épais, difficile à pénétrer. Il fait moins chaud qu’à Pench et la végétation décline des nuances de vert infinies. Rivières, relief, pas étonnant que certains des plus beaux documentaires animaliers consacrés aux tigres aient été tournés ici, comme Un espion dans la jungle, réalisé par la BBC, qui a fait le tour du monde et remporté plusieurs prix. Bien plus que Baghvan, Banjaar Toola répond à l’idée qu’on se faisait du campement de Rudyard Kipling. Des chambres spacieuses, avec tout le confort moderne, leur terrasse en teck et leurs chaises safari pliantes, leur salle de bains équipée à la fois d’un “tub” et d’une douche, des ventilateurs à l’ancienne… même le téléphone est vintage, c’est dire si l’attention a été portée à l’allure des lieux autant qu’à leur fonction utilitaire. Les journées se suivent, rythmées par des rituels immuables, mais pourtant ne se ressemblent pas.
Lever à 5h, thé massala et porridge, suivi d’une bonne rasade de whisky (pas pour les mineurs, ici non plus !), avant le premier game drive. Première sortie, premier tigre. Les enfants sont aux anges. Ils ont pu le photographier. C’est mieux qu’à Vincennes, le Livre de la jungle en direct… même pas peur. Ils en redemandent plutôt. Au cours du périple en Land Rover, accompagnés d’un guide du parc national, ils seront gâtés, avec une mangouste et un ours brun – bien plus petit que le Baloo de Mogwli dessiné par Disney –, observé seulement une à deux fois par an, donc beaucoup plus rare que Sheer Khan. En fin de matinée, retour à Banjar Toola pour se rafraîchir, se reposer ou se baigner dans l’étonnante piscine au bord de la rivière. Plus tard dans la journée, nouveau tour de piste pour tenter à nouveau d’observer un tigre qui – non les enfants – n’est pas un proche parent de l’invizimals Tiger Shark. L’affaire dure deux heures, jusqu’au coucher du soleil entre banians et antilopes – un must see !
À la nuit tombée, veillée avec des touristes revampés en aventuriers de l’arche perdue, et coucher tôt avec les lucioles. Épuisés, les enfants ne demandent pas leur reste. Ce ne sont pas les tambours du village voisin, réunis toute la nuit pour célébrer un mariage, qui les empêcheront de dormir, contrairement à leurs parents ! Et si “on peut retirer l’homme de l’inde, mais pas l’inde de l’homme”, selon l’écrivain indien Sanjay Subrahmanyam, c’est encore plus vrai avec les enfants.