New Delhi dans tous ses éclats
Le temps d’un week-end, Cartier a rendu hommage à l’âge d’or des automobiles indiennes anciennes et à un certain art du voyage, qu’on croyait à jamais disparu. On avait tort.
Banlieue cossue de New Delhi. Le champ de courses, héritage des Britanniques, se trouve à une encablure du quartier des ambassades. Avec ses majestueuses avenues pimpantes, verdoyantes et ombragées, on est à mille et une lieues des stéréotypes sur l’inde éternelle, colorée, odorante, animée et bruyante. Une fois la piste en friche franchie, on pénètre sur les terres du Jaipur Polo Club, fondé en 1892, qui est à la fois l’un des plus anciens du genre au monde, mais également le plus huppé et le mieux fréquenté de la capitale indienne. Au centre de l’anneau, sur une pelouse manucurée, se croisent Rolls Royce anciennes, motos vintage et belles américaines des années 1950. Autour, plusieurs dizaines de jeunes hommes en costume beige et d’assistants des propriétaires s’affairent à pomponner le site, quitte à balayer l’herbe avec un ballet en paille de riz. Malgré la lumière blanche, les chromes lustrés des autos attirent quand même les rares rayons d’un soleil qui demeure plutôt discret. Entre les autos, briquées comme des joyaux, les membres du jury déambulent élégamment et saluent les descendants des familles les plus illustres du pays, au milieu des visiteurs, comme ces deux Sikhs enturbannés aux moustaches sculpturales qu’on croirait tout droit sortis de Tintin au Tibet ou d’un film de Salvador Dali. Pour cette 4e édition du Cartier Travel With Style, plus de soixante automobiles d’exception de tout le souscontinent, et parmi les plus rares et les mieux entretenues, ont été réunies. Un tour de force réalisé sous la curatelle de Manvendra Singh de Barwani, le commissaire de l’événement, descendant de maharadjahs. Il a rassemblé les plus prestigieuses et les plus chères automobiles jamais produites ou importées en Inde avant 1984. L’idée ? Célébrer le design remarquable et le savoir-faire des artisans et carrossiers qui ont créé les plus belles et les plus luxueuses automobiles. Un panel d’amateurs éclairés du monde entier juge les autos réparties dans différentes catégories. Tous les deux ans depuis huit ans, l’événement déménage. Il est devenu au fil du temps le seul des quatre principaux rendez-vous d’élégance
planétaires de référence (avec Pebble Beach en Californie, la Villa d’este en Italie et Chantilly en France) à être itinérant. Avec bien d’autres particularités, comme celle de rendre hommage à l’excentricité et à la singularité de l’industrie automobile indienne. Car l’inde a à la fois produit et importé des voitures qui ont exclusivement roulé dans ses contrées. L’événement est une manière de célébrer ce formidable savoir-faire et le puissant design qui ont présidé à leur création, en même temps que l’art de vivre et de voyager de leurs propriétaires, royauté indienne ou collectionneurs privés plus ou moins fortunés. En Inde d’ailleurs, les “voitures de maharadjahs”, parmi les plus recherchées, sont une catégorie à part, qui atteint des cotes incroyables dans les ventes aux enchères du monde entier.
Une Rolls servait uniquement à la chasse au tigre, une autre exclusivement pour abriter le five o’clock tea de l’épouse d’un prince de sang royal. Telle autre automobile a été livrée en pièces détachées, puis montée devant la résidence d’un maharadjah qui ne disposait même pas d’une route pour l’essayer… L’ingénieur venu la livrer s’est vu contraint d’en construire une sommaire pour son altesse, furieuse de ne pouvoir faire fonctionner son acquisition. Aujourd’hui encore, dans cette province reculée, les routes sont pour la plupart défoncées, hormis les 35 à 40 kilomètres bétonnés puis bitumés qui servaient à son altesse royale pour aller de son palais à son terrain de chasse. De toutes façons, il suffit de séjourner ne serait-ce que quelques heures en Inde pour se rendre compte immédiatement que les voitures, c’est tout un poème. Tuk-tuks crachant une fumée noire épaisse, vieilles Ambassador bariolées en guise de taxis, rééditions blanches pour un usage plus familial accueillant parfois une dizaine de passagers, Royal Enfield au délicieux look rétro circulent au milieu des berlines occidentales, ou encore Tata Nano, l’une des fiertés de la Nation. Autant dire qu’ici on prend la chose mécanique au sérieux. Mais pas seulement. Ou alors au moins autant que le polo. Cela tombe bien, le lendemain, de nombreuses célébrités
locales participent à un match de polo – le roi des sports et le sport des rois –, auquel Cartier nous convie chaleureusement. Depuis des années, la maison sponsorise sa propre équipe de polo, la meilleure du sous-continent, et s’est largement investie dans ce sport. C’est d’ailleurs elle qui, à la suite de quelques chulklas (périodes), interrompues par une pluie tropicale diluvienne, remportera une fois de plus la Cartier Polo Cup sur les terres du Jaipur Polo Ground. La journée était presque parfaite… mais comme dit le proverbe indien, “un diamant avec quelques défauts est préférable à une pierre qui n’en a pas”.