L'officiel Voyage

POLYNÉSIE, LE RÊVE DE MARLON BRANDO

- PAR JEAN-PIERRE CHANIAL

Vingt heures après avoir décollé de Paris, le monde bascule. Il devient bleu, se pare d’or et de diamants quand les sternes filent plein soleil, d’émeraude si les cocotiers font la révérence. Ce monde rêvé, initial, existe sur l’atoll de Tetiaroa. Trente-cinq villas composent The Brando, un resort hors-normes imaginé selon les conviction­s de Marlon, là où il vivait en Polynésie française.

Ici, on parle du mana, “l'esprit”. Inutile de poser des questions. Ouvrir des yeux ronds et accepter. Tout être vivant possède son propre mana. La fleur de tiare, l'étonnant fou à pieds rouges, plumage sombre, bec turquoise et palmes en alerte incendie, la patate de corail qui réunit mille petits poissons en robe bleu fluo, rayée comme un bagnard, écarlate, argentée… Même la roche noire, souvenir des temps volcanique­s, vibre en lien avec le reste de la création. Voilà le mana. Il se dit que celui de Tetiaroa serait d'une puissance inégalée. Marlon Brando découvre cet atoll miniature, 6 km² pour treize îlots, des motu, flottant à 53 kilomètres de Tahiti, en 1960 quand il tourne “Les Révoltés du Bounty”. Il craque. Le bad boy en T-shirt blanc nommé désir, l'amant impétueux de Paris, le parrain au bout du chemin, le bouddha maître de l'apocalypse, se retrouve submergé par plus grand que lui, ensorcelé par le mana de Tetiaroa : “C'est encore plus beau que tout ce que j'avais pu imaginer”, raconte-t-il.

Plus grand, plus fort, plus exemplaire

Sans la moindre hésitation, Brando installe sa vie sur ce concentré de nature intacte, une aube des temps comme on en rêve sur les bancs de l'école, une immense scène de liberté absolue. Il achète l'atoll, épouse la belle Tarita, sa partenaire tahitienne du film, et s'en vient roucouler sur son banc de corail. Regard perdu bien au-delà de l'horizon, prise de jour, perdu dans les milliers d'étoiles, plan nuit. Clap de fin ?

Certaineme­nt pas. Son plaisir de l'instant, lagon de cristal, oiseaux ivres de quiétude, chanson de la brise peignée par les ramures de cocotiers et la main de Tarita, ne l'empêchent pas d'imaginer plus grand, plus fort, plus exemplaire. Un projet avec de la gueule et du coffre, comme lui : “J'aimerais établir à Tetiaroa une communauté autosuffis­ante où se trouveraie­nt associés la recherche et la formation, l'agricultur­e, l'aquacultur­e et le tourisme au sein d'un environnem­ent préservé pour le bénéfice de tous. Et créer une communauté non polluante qui ne bouleverse­rait pas l'équilibre écologique du lagon.” Tel est le mantra fondateur de Tetiaroa, sa Constituti­on version Brando, la pierre angulaire de son An 01.

Planque royale

Le site est plutôt bien choisi pour accueillir cette utopie. L'acteur sait-il que les rois et reines de Tahiti, la dynastie des Pomare, venaient ici se retirer du monde au cours des XVIIIE et XIXE siècles? Quête de sagesse politique autant que bombance loin des regards, Tetiaroa inspire depuis toujours. Les Polynésien­s attribuent en effet à cet Eden des vertus peu communes, parlent (déjà) de beauté paradisiaq­ue, mais également de ces vibrations quasi tellurique­s que seul décèle l'instinct ou l'irrationne­l, celles qui tissent un lien définitif entre les profondeur­s océanes, la terre des vivants et le ciel infini. Ou, dit d'une autre manière, entre les hommes et les dieux. Tel est le mana peu commun de Tetiaroa. Il a fait flancher le géant de Beverly Hills. Brando, moderne souverain d'un royaume de vent, d'oiseaux et de corail, installe son monde nouveau. Du moins essaye. Un hôtel d'une dizaine de bungalows façon retour aux sources, un élevage de tortues puis de homards, un centre de recherches océaniques… Zéro succès, malgré l'aura du mentor. Puis, la vie va et le rêve s'effiloche. Contexte familial tendu, tournages éprouvants, dettes qui s'accumulent…, Brando quitte Tetiaroa en 1990. Il n'y reviendra plus.

Tumi, nouvelle princesse de Tetiaroa

Sur place, il laisse Teihotu, le fils qu'il a eu avec Tarita, longtemps seul habitant du paradis dans son fare de Robinson. Une fille lui est venue, Tumi, nouvelle princesse de Tetiaroa. Quand elle raconte ses vacances ici, elle parle de la manière dont elle comptait les petits poissons qui virevoltai­ent autour de ses pieds nus et comment elle caressait les tortues de mer avant qu'elles partent pour un grand voyage qui les conduit jusqu'aux Fidji. Elles reviendron­t sur les plages de Tetiaroa pondre leurs oeufs. En tout anonymat, Tumi, 28 ans aujourd'hui, oeuvre à la protection de la faune et la flore de l'atoll. Sa manière à elle de poursuivre l'oeuvre de son grand-père. Lorsqu'il meurt en 2004, Brando a bordé l'avenir de son domaine. Dans sa villa de Mulholland Drive où il passe cloîtré ses dernières années, il a négocié la réalisatio­n d'un projet exceptionn­el, à la démesure de son rêve.

Ce sera un hôtel, évidemment baptisé The Brando. Aux manettes de ce délire des mers du Sud, Dick Bailey, un Américain, et son bras droit, l'alsacien Philippe Brovelli. Ensemble, ils ont porté haut une chaîne qui fait référence en Polynésie, Beachcombe­r Interconti­nental (cinq adresses et le paquebot “Paul Gauguin”). Le cahier des charges est irréaliste mais Brando a exigé que rien ne soit altéré, qu'il n'y ait aucun rejet carbone et que “Tetia”, comme on dit, soit totalement autonome pour accueillir des vacanciers autant que des chercheurs venus étudier et sauver l'écosystème local.

Pour sceller son attachemen­t définitif à son atoll, il exige que, le jour venu, ses cendres soient dispersées ici.

Leonardo, Johnny, Barack, Lady Gaga

En juillet 2014, juste dix années après que Marlon a tiré sa révérence, la maison ouvre ses portes. Une folie à 150 millions d'euros. Mais comme promis, 100 % ou presque, verte. Trente-cinq villas spacieuses, chacune avec son majordome, sa piscine et son accès direct à la plage sans oublier une vue grand large depuis la chambre, 2 400 panneaux solaires, un système de récupérati­on d'eau de mer en profondeur (à 4 °C) pour alimenter la climatisat­ion (une vieille idée de Brando), une unité de désalinisa­tion, une table

gastronomi­que signée Guy Martin (3 étoiles à Paris), un jardin bio, un spa de haut vol, des écrans géants, le wi-fi partout, une université de la mer ouverte aux chercheurs et une philosophi­e du bonheur qui dit le reste : “que chacun réalise son envie du moment, qu'il mange quand il le souhaite, boive ce qu'il veut, fasse ce qui lui plaît”, selon Philippe Brovelli. Pas d'horaire ni la moindre obligation. Ad lib, un cours de yoga ou barboter dans le lagon, filer vers l'île aux oiseaux (des centaines) en compagnie d'un naturalist­e, voire de Tumi Brando, qui adore revenir parler à son peuple du vent, un massage, un cours sur le corail. À moins de préférer trinquer avec un Tetiaroa Waters, le cocktail hommage au bleu des eaux alentours, vodka avec fleurs de tiare, jus de pamplemous­se, eau de coco glacée, trait de curaçao. Tchin !

Sitôt ouverte, la villégiatu­re grand chic grand genre triomphe. People autant qu'anonymes, hédonistes ou stars ravies d'une telle planque (pas d'accès pour les bateaux de paparazzi et piste d'avion réservée aux résidents). Tous assurent une facture quotidienn­e de 3500 euros, trois nuits sur place minimum exigées. Tout compris, à quelques broutilles près. Les plus célèbres habitués, Leonardo Dicaprio (il compare le lagon turquoise à une piscine pour milliardai­res), Johnny Depp, Lady Gaga, Barack Obama venu ici avec Michele rédiger ses mémoires font fi de ces détails. De même qu'albert II de Monaco hôte des lieux avec Charlene et les jumeaux… Tous repartent touchés par la même révélation.

Certains parlent des feux de la Terre libérant une énergie terribleme­nt positive. D'autres évoquent les grâces du ciel, sa lumineuse plénitude, les harmonies de la nature. À moins que ce ne soit l'océan… Tous s'accordent sur l'idée que ce cadre initial bouscule les limites de chacun, ouvre l'esprit à mille territoire­s jamais explorés. “C'est la mer allée/avec le soleil.” Rimbaud disait ainsi l'éternité.

Céleste sérénité

Alors, on en revient forcément au mana. Les sociétés modernes ont depuis longtemps envoyé balader cette notion d'outre-monde. Pas bankable. Aux îles, elle demeure vitale. Le mana habite, vit, veille sur les habitants, se glisse dans les filets du pêcheur, rassure le malade, offre au fare ses bonnes intentions, plane sur les transparen­ces du lagon. Esprit es-tu là? Partout, omniprésen­t, omnipotent, répondent les Polynésien­s. Une conviction qui n'empêche personne d'égrener des rangs de chapelet. Le mana s'accommode de toutes les complicité­s.

Gauguin et Brel, évidemment, mais aussi Loti, Colas, Paul-émile Victor, Melville, Kersauson, Matisse, Dassin, Bougainvil­le, Segalen… parlent de senteurs enivrantes, de céleste sérénité, d'ondes de bonheur, d'une divine vérité plaquée à fleur d'océan. Brando fit de même et voulut transmettr­e ce trésor. Tumi assure, désormais. Gardienne du mana de Tetiaroa.

Quel produit tahitien a dopé votre imaginatio­n?

Guy Martin : La nature polynésien­ne est d'une richesse exceptionn­elle. Et les tropiques ajoutent de la puissance aux saveurs. Ceci vaut pour les fruits, les légumes, les poissons, les crustacés… S'il faut désigner une découverte, j'opte sans hésiter pour la vanille qui se marie merveilleu­sement avec les poissons, les desserts évidemment, et même avec le foie gras.

Qu’est-ce qui vous inspire le plus à Tetiaroa?

L'atoll émet une vibration très particuliè­re, sans doute celle des âmes qui veillent, celle de Marlon Brando avec elles, évidemment. On ressent vite l'atmosphère unique des lieux, les oiseaux, les espèces protégées, une baleine et son baleineau, les tortues… Cette nature initiale et paisible offre une constante source d'inspiratio­n.

Quelle en est la traduction dans l’assiette?

Il faut offrir à chaque plat l'élégance qui lui revient, avec le respect absolu du produit. À Tetiaroa, le repas doit inviter au voyage, terrestre autant que cosmique.

 ??  ?? Marlon Brando et Tarita Teriipaia pendant le tournage des “Révoltés du Bounty”, de Lewis Milestone, à Tahiti en 1961.
Marlon Brando et Tarita Teriipaia pendant le tournage des “Révoltés du Bounty”, de Lewis Milestone, à Tahiti en 1961.
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 ??  ?? L'atoll de Tetiaroa, où se trouve The Brando, est accessible grâce à l'avion privé de l'hôtel, un vol époustoufl­ant d'une vingtaine de minutes.
L'atoll de Tetiaroa, où se trouve The Brando, est accessible grâce à l'avion privé de l'hôtel, un vol époustoufl­ant d'une vingtaine de minutes.
 ??  ?? Marlon Brando (alias Fletcher Christian) et Tarita Teriipaia (alias Maimiti) pendant le tournage des “Révoltés du Bounty”.
Marlon Brando (alias Fletcher Christian) et Tarita Teriipaia (alias Maimiti) pendant le tournage des “Révoltés du Bounty”.
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