Bon appetit avec Eataly
Aimer l’italie et ses bienfaits culinaires depuis la France revenait à cultiver une relation amoureuse à distance et réclamait beaucoup d’efforts, au prix de quelques malentendus. L’arrivée avant l’été d’eataly simplifie l’épanouissement de cette passion
Souvent, nous rêvions d’une téléportation du côté de Turin ou de Rome, de faire un saut (long, très long, le saut) du côté des tentateurs Eataly, marchés italiens où l’on trouvait de quoi équiper sa cuisine à l’italienne et faire de ses placards une annexe crédible du garde-manger d’un restaurant romain.
La volonté des Galeries Lafayette a prolongé, au coeur du Marais parisien, la vision du fondateur Oscar Farinetti. Trente-neuvième du nom, le marché est une invitation à l’art de la passeggiata, la flânerie à l’italienne, dans ce labyrinthe délicieux, entre comptoirs soignés, espaces de restauration dans le ton et ateliers pour insatiables gourmands.
Avec 2500 mètres carrés, 1500 produits référencés, 1 200 vins proposés… c’est un dédale d’où l’on ne sort qu’à regret. Café, glacier, charcutier, boulanger, primeurs, caviste, épicerie, mozzarella bar : tous les corps de métiers de bouche sont représentés, et les espaces articulés pour y laisser glisser la journée, depuis le ristretto matinal jusqu’au dîner.
Nanni Moretti, merveilleux cinéaste et grand adorateur de la Sachertorte devant l’éternel, expliquait dans son film Palombella rossa : “Qui parle mal pense mal. Et qui pense mal vit mal.” Cette parfaite devise (un peu longue pour s’en faire un tatouage, certes, mais elle ne nous quitte pas pour autant, et qui se fait encore tatouer
en 2019 ?) s’applique ici aux plaisirs du palais, à ses finesses, à ses contours délicats. Passionnées, donc pédagogues, les équipes d’eataly Paris Marais racontent magnifiquement un pays à travers ses produits. Viscéralement ancré dans les régions et leur diversité de terroir et de climat, le répertoire gastronomique italien couvre un immense champ d’expressions.
Le directeur retail a eu le temps de préparer ses étalages : le temps, justement, est au coeur de la démarche. “Les produits s’inspirent de la mouvance Slow Food, qu’il s’agisse de ceux que nous distribuons ou de ceux qui sont cuisinés dans les restaurants. Cette attention à l’environnement et à la tradition, c’est un gage d’excellence, d’une agriculture raisonnée, de qualité et de saisonnalité. Nous avons aussi mis en valeur les caractéristiques régionales qui sont essentielles aux yeux des Italiens, qui les connaissent parfaitement. La diversité de la production italienne donne toute sa force et sa singularité à notre concept.” Il était crucial, pour partager cette philosophie, de mettre les rôles principaux, à savoir les producteurs, au premier plan. “Nous en invitons quasiment toutes les semaines. Notre projet participe aussi du didactisme. Nous organisons des dégustations, des ateliers, suggérons des recettes, en établissant, par exemple, un lien entre les produits et les plats à la carte du restaurant.”
Importer telle quelle une invention étrangère en terre hexagonale peut se révéler périlleux
– une affaire de papilles, de climat, d’éducation, d’histoire… “Il était impératif de travailler en amont sur notre sélection, de l’adapter au consommateur parisien. Par exemple, nous avons privilégié l’épicerie salée, l’offre en fromages et en salaisons.”
Cet esprit défricheur a déjà porté ses fruits (à moins qu’il n’ait anticipé avec pertinence la maturité du nouveau public gastronome?) : “Nous avons des demandes sur des produits très pointus, comme la colatura d’anchois, la fregola sarda ou les farines spécifiques pour les pâtes fraîches.”
Si l’on peut se désoler parfois de l’uniformisation des paysages urbains, dupliquant nos repaires et repères locaux d’un hémisphère à l’autre, retrouver à quelques roues de bicyclette une aussi belle adresse, généreuse en idées douces et respectueuse de son métier, nous console de perdre une occasion de prendre le premier vol pour Rome. “La vie est une combinaison de magie et de pâtes”, jugeait Federico Fellini. Pour les pâtes, c’est ici, et pour les accessoires de prestidigitation, c’est au BHV Marais, à
190 mètres au sud…